Moi, Claude
recevait pareil honneur. Tibère ne s’opposa pas au décret, mais promit de bâtir l’arc à ses frais – et négligea de le faire. Quant à la fortune de Livie, Tibère, comme héritier naturel, devait forcément en recevoir la plus grande part, mais elle avait laissé tout ce que lui permettait la loi à des membres de sa maisonnée ou à d’autres personnes de confiance. Pour moi, j’aurais dû hériter de vingt mille pièces d’or. Inutile de dire que Tibère n’exécuta pas un seul de ces legs.
26
Je n’aurais jamais imaginé que Livie, à sa mort, pût me manquer. Enfant, je priais en secret, la nuit, les dieux infernaux de venir la prendre. Et maintenant j’aurais offert les sacrifices les plus précieux – des taureaux blancs sans tache, des antilopes du désert, des ibis et des flamants à la douzaine – pour qu’elle fût encore là. Car il était bien évident que depuis longtemps déjà Tibère n’était plus retenu que par la crainte de sa mère. Quelques jours après sa mort il s’attaqua à Néron et à Agrippine. Il se plaignit au Sénat de la dépravation des mœurs de Néron et de la mauvaise langue d’Agrippine, et proposa de prendre des mesures sévères pour les mettre tous deux à la raison.
Après la lecture de la lettre il y eut au Sénat un long silence. Chacun supputait quel appui les descendants de Germanicus trouveraient auprès du peuple contre Tibère, et se demandait s’il n’était pas moins dangereux de s’opposer à l’Empereur qu’à la populace. À la fin un ami de Séjan se leva et proposa, pour obéir aux vœux de l’Empereur, de rendre contre les deux personnes désignées un décret quelconque. Or il y avait là un sénateur qui faisait office de rapporteur dans toutes les affaires du Sénat et dont la parole était d’un grand poids. Jusque-là il avait toujours voté sans discussion tout ce que proposaient les lettres de Tibère et Séjan comptait sur sa docilité. Cependant il repoussa la proposition. La question, dit-il, devait être remise à plus tard. L’Empereur avait dû être mal informé et écrire trop vite ; dans son propre intérêt comme dans celui d’Agrippine et de Néron mieux valait lui donner le temps de réfléchir.
Bien que les affaires du Sénat fussent censées rester secrètes jusqu’à ce que l’Empereur donnât l’ordre de les publier officiellement, la nouvelle de cette lettre s’était répandue dans toute la ville. Une foule énorme se massait déjà autour du Sénat, manifestant en faveur de Néron et d’Agrippine. « Vive Tibère ! criait-on. La lettre est un faux ! C’est Séjan qui a tout fait ! Vive Tibère ! »
Séjan expédia en toute hâte un messager à Tibère, qui s’était installé pour la circonstance dans une villa située à quelques lieues de Rome. Le Sénat, à l’instigation du rapporteur, refusait de tenir compte de la lettre : le peuple était sur le point de se soulever : on appelait Néron le Sauveur et Agrippine la vraie Mère de la Patrie. Si Tibère n’agissait pas avec fermeté, le sang coulerait avant la fin de la journée.
Tibère, effrayé, suivit le conseil de Séjan et écrivit au Sénat une lettre menaçante. Il imputait au rapporteur l’insulte sans précédent que venait de subir la dignité impériale et demandait, puisqu’on prenait ses intérêts aussi peu à cœur, que l’affaire fût remise entièrement entre ses mains. Le Sénat céda. Tibère fit défiler ses Gardes dans la ville, épée nue, trompette en tête, puis menaça le peuple de réduire de moitié les distributions gratuites de blé si de nouvelles manifestations séditieuses se produisaient. Il exila alors Agrippine à Pandataria, l’îlot où avait été d’abord reléguée sa mère Julie, et Néron à Ponza, un autre îlot rocheux situé à mi-chemin entre Capri et Rome, mais très loin de la côte. Le Sénat dut admettre que les deux prisonniers avaient cherché à s’enfuir de la ville dans l’espoir de corrompre la fidélité des régiments du Rhin.
Avant de renvoyer Agrippine, Tibère la fit comparaître devant lui et lui demanda ironiquement comment elle se proposait de gouverner le puissant royaume qu’elle venait d’hériter de sa mère (sa défunte et vertueuse épouse). Enverrait-elle des ambassadeurs à son fils, Néron, dans son nouveau royaume à lui, et concluraient-ils ensemble une grande alliance militaire ? Elle ne répondit pas. Il se fâcha et lui cria
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