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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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qu’il n’avait plus rien à craindre. Tibère, pour le récompenser, décida de le marier avec sa petite-fille Héluo, dont il avait dissous le mariage avec Néron. Mais là ma mère (qui, on s’en souvient, était aussi la mère de Livilla) s’interposa. Livilla, qui habitait chez elle depuis la mort de Castor, avait eu l’imprudence de lui laisser découvrir la correspondance secrète qu’elle entretenait avec Séjan. Ma mère avait toujours été très économe : dans sa vieillesse son grand bonheur était de ramasser les bouts de chandelle pour en faire des chandelles neuves, de vendre les rebuts de la cuisine aux éleveurs de porcs, ou encore de mélanger la poussière de charbon avec je ne sais quel liquide et d’en faire des briques qui, une fois sèches, brûlaient presque comme du charbon. Livilla, au contraire, était fort dépensière, et ma mère la réprimandait sans cesse à ce sujet. Or un jour celle-ci, passant devant la chambre de Livilla, en vit sortir un esclave avec une corbeille pleine de papiers.
    — Où vas-tu, petit ? demanda-t-elle.
    — Au feu de la cuisine, maîtresse : ordre de Mme Livilla.
    Ma mère protesta :
    — C’est gaspiller que de bourrer le feu avec des morceaux de papier qui peuvent servir. Sais-tu ce que le papier coûte ? au moins trois fois autant que du parchemin. Et il y a là des morceaux presque blancs.
    — Mme Livilla a bien recommandé…
    — Mme Livilla devait penser à autre chose quand elle t’a ordonné de détruire ce qui coûte si cher. Donne-moi la corbeille. Les morceaux blancs serviront à faire des listes de commissions et toutes sortes de choses. Qui ne gaspille rien, ne manque de rien.
    Elle emporta les papiers dans sa chambre et allait commencer à découper les parties blanches quand elle s’avisa tout à coup qu’il vaudrait encore mieux enlever l’encre de toutes les feuilles. Jusque-là elle s’était honnêtement gardée de jeter les yeux sur ce qui était écrit, mais en frottant le papier elle ne put faire autrement que de lire. Elle s’aperçut alors que c’était le brouillon ou le début plusieurs fois recommencé d’une lettre à Séjan. Livilla était manifestement furieuse de voir que celui-ci consentait à épouser une autre femme – sa propre fille, qui plus est. Mais elle essayait de dissimuler ses sentiments : chaque brouillon était un peu plus adouci que le précédent. Elle disait à Séjan d’agir vite, avant que Tibère eût le temps de s’apercevoir qu’il ne voulait pas vraiment épouser Héluo. S’il n’était pas prêt encore à assassiner Tibère,ne valait-il pas mieux qu’elle se chargeât elle-même d’empoisonner sa fille ?
    Ma mère fit appeler Pallas, qui travaillait pour moi à la bibliothèque, et l’envoya demander à Séjan, soi-disant de ma part, la permission de se rendre à Capri pour offrir à Tibère mon Histoire de Carthage. Je venais justement de terminer l’ouvrage et en avais envoyé avant la publication un bon exemplaire à ma mère. Séjan y consentit sans difficulté : il connaissait Pallas pour un de nos esclaves et ne se méfiait de rien. Mais dans le douzième volume de l’histoire ma mère avait collé les lettres de Livilla, avec une explication de sa propre main. Elle avait recommandé à Pallas de ne laisser personne toucher aux livres, qui étaient scellés, et de les remettre à Tibère en main propre. Il devait lui faire en outre la commission suivante : Mme Antonia, elle aussi, t’envoie ses salutations dévouées ; mais elle pense que le livre de son fils ne peut intéresser en rien l’Empereur, sauf le douzième volume où se trouve une digression fort curieuse qui, elle en est sûre, sera pour lui d’un intérêt immédiat.
    Pallas s’arrêta à Capoue pour me dire où on l’envoyait. Ma mère lui avait strictement défendu de m’en parler, mais après tout, me dit-il, c’était à moi qu’il appartenait, et non à elle ; et il était sûr, quant à lui, que je n’avais jamais songé à offrir cette dédicace à l’Empereur. Je fus si intrigué, surtout quand il me parla du douzième volume, que profitant du moment où il se lavait et changeait de vêtements, je rompis le cachet. Ce que je trouvai me causa une telle frayeur que pendant un instant je songeai à brûler le tout. Mais c’était aussi dangereux que de le laisser passer, et finalement je recachetai le volume. Pallas partit pour Capri : à son retour il me raconta que Tibère

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