Moi, Claude
de parler ; comme elle se taisait toujours il ordonna à un capitaine des Gardes de lui donner un coup sur l’épaule. Alors elle parla.
— De la boue trempée de sang, voilà ce que tu es. C’est ainsi, m’a-t-on dit, que t’appelait Théodore de Gadara quand tu suivais ses cours de rhétorique à Rhodes.
Tibère saisit le cep de vigne du capitaine et frappa Agrippine jusqu’à lui faire perdre connaissance. Elle perdit un œil à la suite de ces affreuses brutalités.
Bientôt on accusa également Drusus d’intrigues avec les régiments du Rhin. Séjan produisit à l’appui de l’accusation des lettres qu’il prétendit avoir interceptées, mais qui en réalité étaient des faux. Il fournit aussi un témoignage écrit de Lépida, la femme de Drusus, avec laquelle il entretenait une intrigue secrète. Drusus, disait-elle, se proposait d’entrer en contact avec les marins d’Ostie : il espérait que ceux-ci n’auraient pas oublié que Néron et lui étaient les petits-fils d’Agrippa. Le Sénat remit Drusus aux mains de Tibère : celui-ci le fit enfermer, sous la garde de Séjan, dans une mansarde écartée du palais.
La victime suivante fut Gallus. Tibère écrivit au Sénat que celui-ci, jaloux de Séjan, avait fait tout son possible pour le faire tomber en disgrâce auprès de son Empereur. Les sénateurs, bouleversés par le suicide du rapporteur qu’ils avaient appris le jour même, envoyèrent aussitôt un magistrat arrêter Gallus. Au domicile de ce dernier on dit au magistrat que Gallus se trouvait hors de la ville, à Baïes ; là on le dirigea vers la villa de Tibère, où il trouva Gallus en train de dîner avec l’Empereur. Tibère buvait à la santé de Gallus, qui lui répondait amicalement : il régnait dans la salle à manger une telle atmosphère de bonne humeur et de gaieté que le magistrat embarrassé ne savait plus que dire. Tibère lui demanda ce qu’il venait faire.
— Sur l’ordre du Sénat, arrêter un de tes invités, César.
— Lequel ? demanda Tibère.
— Asinius Gallus, répondit le magistrat, mais il doit y avoir erreur.
Tibère affecta un air de gravité.
— Si le Sénat a quelque chose contre toi, Gallus, et a envoyé ce magistrat pour t’arrêter, je crains que notre agréable soirée ne touche à sa fin. Je ne peux rien contre le Sénat, tu le sais. Mais voici ce que je vais faire, puisque nous nous entendons si bien, toi et moi : je vais demander au Sénat comme une faveur personnelle de n’entamer aucune procédure contre toi avant que je m’en mêle. Cela revient à dire que tu seras simplement en état d’arrestation, sous la garde des consuls, mais sans fers ni rien de dégradant ; et je m’arrangerai pour te faire acquitter dès que cela sera possible.
Gallus se sentit obligé de remercier Tibère de sa bienveillance, mais il était sûr qu’il se cachait quelque chose là-dessous. Il ne se trompait pas. On l’emmena à Rome, où on le mit au secret dans une salle souterraine du Sénat. Sa nourriture, qu’on lui passait à travers une grille, était misérable : soigneusement calculée pour le maintenir affamé, mais vivant. On lui disait que cela n’était que temporaire, et que Tibère viendrait bientôt s’occuper de lui. Mais les jours se changèrent en mois, les mois en années, et il restait là. Si on venait à parler de lui devant Tibère, le vieillard disant en ricanant : « Je n’ai pas encore fait la paix avec Gallus. »
En apprenant son arrestation, j’eus des remords de m’être querellé avec lui. Ce n’était pourtant qu’une dispute littéraire. Il avait écrit un livre ridicule intitulé : Comparaison entre les talents oratoires de mon père Asinius Pollion et de son ami Marcus-Tullius Cicéron. Si la comparaison avait porté sur la valeur morale, les capacités politiques ou même sur l’érudition, Pollion l’eût facilement emporté. Mais Gallus essayait de prouver que son père était le plus brillant orateur des deux. C’était absurde, et j’écrivis un petit livre pour le dire, ce qui, venant presque immédiatement après ma critique des remarques de Pollion sur Cicéron, contraria beaucoup Gallus. J’aurais volontiers retiré le volume de la circulation si j’avais pu par là adoucir le moins du monde le misérable sort du prisonnier. Mais c’était là, je pense, une idée ridicule.
Séjan put enfin annoncer à Tibère que la puissance du parti Vert Poireau était brisée et
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