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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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instants plus tard il était mort.
    Or, Tibère avait comme favori l’animal le plus extraordinaire qu’on eût jamais vu à Rome. Il venait d’une île appelée Java, située au-delà des Indes. C’était une sorte de lézard couvert d’écailles, long de neuf pieds, et dont la tête affreuse dardait une langue énorme. On l’appelait le dragon sans ailes : Tibère le nourrissait lui-même tous les jours avec des cafards, des souris mortes et toute sorte de vermine. Il avait une odeur infecte, l’humeur vicieuse et des habitudes répugnantes. Tibère et lui se comprenaient à merveille. Après l’avertissement de Thrasylle, Tibère, pensant que celui-ci avait voulu dire que le dragon finirait par le mordre, fit mettre l’animal dans une cage avec des barreaux trop étroits pour y passer son horrible tête.
    Tibère avait maintenant soixante-dix-huit ans ; l’usage constant de la myrrhe et d’autres aphrodisiaques l’avait beaucoup affaibli, mais il s’attifait avec élégance et cherchait à se comporter comme un homme dans la force de l’âge. Après la mort de Nerva et de Thrasylle il se lassa de Capri et, l’année suivante, au début de mars, il résolut de braver le sort et de rentrer à Rome. Il s’y rendit par petites étapes, dont la dernière était une villa située sur la voie Appienne, en vue des murailles de la ville. Mais à peine y fut-il arrivé que le dragon lui donna l’avertissement prédit. Tibère, en allant le nourrir à midi, le trouva mort dans sa cage, couvert d’un essaim de grosses fourmis noires qui essayaient de lui arracher des morceaux de chair tendre. Il vit là un présage que s’il allait plus loin il mourrait comme le dragon et que la foule mettrait son cadavre en pièces. Il rebroussa chemin précipitamment. Mais en voyageant par vent d’est il attrapa un refroidissement, qu’il aggrava en assistant à des Jeux donnés par les soldats d’une garnison située sur sa route. On le pria de lancer de sa loge une javeline à un sanglier qu’on venait de lâcher dans l’arène. Il en lança une, et manqua son but : irrité, il en demanda une autre. Il avait toujours été fier de son adresse à la javeline et ne voulait pas donner à penser aux soldats que la vieillesse l’avait amoindri. Il s’échauffait, s’excitait, lançait les javelines l’une après l’autre, essayait d’atteindre le sanglier à une distance impossible. À la fin la fatigue l’obligea à y renoncer. Le sanglier n’avait pas été touché : Tibère ordonna de le mettre en liberté pour le récompenser de son adresse.
    Son refroidissement lui tomba sur le foie : cependant il continua sa route vers Capri. Il atteignit Misène, à l’extrémité la plus rapprochée de la baie de Naples : c’était là que la flotte de l’ouest avait son quartier général. La mer était trop mauvaise pour faire la traversée, et Tibère s’en irrita. Mais il possédait sur le promontoire de Misène une villa magnifique, qui avait appartenu jadis au fameux épicurien Lucullus. Il s’y installa avec sa suite, y compris Caligula et Macro. Puis, pour montrer qu’il n’avait rien de grave, il offrit un grand banquet à tous les fonctionnaires de la ville. Le festin durait depuis quelque temps quand le médecin de Tibère lui demanda la permission de se retirer – certaines herbes ; comme on sait, ont des vertus plus grandes lorsqu’on les cueille à minuit ou dans telle ou telle position de la lune, et Tibère avait l’habitude de voir le médecin se lever de table pour des raisons de ce genre. Mais en lui prenant la main pour la baiser il la retint plus longtemps qu’il n’était nécessaire : Tibère devina qu’il lui tâtait le pouls afin de mesurer sa faiblesse. Pour le punir il le força à se rasseoir et fit durer le banquet jusqu’au matin pour bien montrer qu’il n’était pas malade. Le lendemain il était au plus bas : la nouvelle qu’il allait mourir fit le tour de Misène et se répandit jusqu’à Rome.
    Or, Tibère avait ordonné à Macro d’accuser de trahison certains personnages qui lui déplaisaient et de s’arranger pour les faire condamner par n’importe quel moyen. Celui auquel il en voulait le plus était Arruntius, le doyen et le plus respectable des sénateurs. Auguste, un an avant sa mort, avait déclaré qu’à défaut de Tibère Arruntius eût été le seul empereur possible. Tibère avait déjà cherché à le faire condamner une fois, mais en

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