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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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vain : le vieil Arruntius était le seul lien restant avec l’âge d’Auguste, et le sentiment public s’était élevé avec tant de violence contre ses accusateurs qu’il avait fallu mettre ceux-ci en jugement à leur tour, les convaincre de parjure et les condamner à mort.
    Le procès commença. Mais les amis des accusés remarquèrent que la lettre impériale approuvant toutes les décisions de Macro ne se trouvait pas sur la table comme de coutume. Ils en conclurent que Macro avait bien pu ajouter de son propre chef un ou deux noms à la liste établie par Tibère. Finalement on décida d’ajourner le procès jusqu’à confirmation par l’Empereur. Arruntius, qui avait résolu de se tuer avant l’ouverture des débats, faisait ses adieux à quelques amis quand la nouvelle de la maladie de Tibère arriva à Rome. Ses amis le supplièrent alors de différer son suicide jusqu’au dernier moment : s’il survivait à Tibère il aurait des chances d’être acquitté par son successeur.
    — Non, dit-il, j’ai vécu trop longtemps. Ma vie était déjà assez difficile quand Tibère partageait le pouvoir avec Livie. Elle était presque intolérable quand il le partageait avec Séjan. Mais Macro est un scélérat pire que Séjan, et vous verrez que Caligula, avec l’éducation qu’il reçoit à Capri, sera un empereur pire que Tibère. Je ne peux pas sur mes vieux jours devenir l’esclave d’un tel maître.
    Là-dessus il prit un canif et se coupa l’artère du poignet. Tout le monde était indigné, car Caligula faisait figure de héros populaire, et on s’attendait à trouver en lui un second Auguste meilleur que le premier.
    Tibère entra dans le coma. Le médecin dit à Macro qu’il en avait au plus pour deux jours de vie. Toute la cour était en effervescence. Macro et Caligula, eux, étaient parfaitement d’accord. Caligula respectait la popularité de Macro auprès des Gardes et Macro celle de Caligula auprès de l’ensemble de la nation. En outre, Macro devait à Caligula son élévation au pouvoir : quant à Caligula, il entretenait avec la femme de Macro des relations sur lesquelles celui-ci avait la complaisance de fermer les yeux. Tibère avait déjà commenté, non sans aigreur, les égards de Macro pour Caligula. « Tu as raison, lui avait-il dit, d’abandonner le soleil couchant pour celui qui se lève. »
    Macro et Caligula commencèrent à dépêcher des messagers aux commandants des différentes armées pour leur annoncer que l’Empereur se mourait et qu’il avait désigné Caligula pour son successeur en lui remettant son anneau. En effet, Tibère, pendant un intervalle de lucidité, avait bien fait appeler Caligula et tiré son anneau de son doigt. Mais ensuite il s’était ravisé, avait remis l’anneau et croisé les deux mains de toutes ses forces comme pour empêcher qu’on ne le lui volât. Dès qu’il eut sombré de nouveau dans l’inconscience et cessé de donner signe de vie, Caligula lui retira doucement l’anneau : maintenant il se pavanait en le taisant briller à tous les yeux, acceptant les félicitations et les hommages.
    Mais même alors Tibère n’était pas mort. Il gémit, fit un mouvement, puis s’assit dans son lit et appela ses valets. À part le long jeûne qui l’avait affaibli, il était tout à fait normal. Ce n’était pas la première fois qu’il jouait ce tour, de paraître mort et de ressusciter ensuite. Il appela de nouveau : personne ne l’entendit ; les valets étaient tous à l’office en train de boire à la santé de Caligula. Mais bientôt un esclave entreprenant s’approcha pour voir ce qu’il pouvait voler dans la chambre mortuaire pendant qu’il n’y avait personne. La chambre était obscure : Tibère faillit le rendre fou de terreur en criant tout à coup :
    — Où donc sont ces valets ? Est-ce qu’on ne m’a pas entendu ? Je veux du pain et du fromage, une omelette, deux bonnes tranches de bœuf et une rasade de vin de Chio, tout de suite ! Mais, mille Furies ! qui m’a volé mon anneau ?
    L’esclave s’enfuit de la chambre en courant et se heurta presque à Macro qui passait.
    — L’Empereur vit, seigneur, il demande à manger et réclame sa bague.
    La nouvelle se répandit dans le palais : une scène ridicule s’ensuivit : la foule qui entourait Caligula se dispersa dans toutes les directions. « Grâce à Dieu, criait-on, la nouvelle était fausse ! Vive Tibère ! » Caligula était

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