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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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c’était avec l’idée qu’il ne le serait jamais en réalité. Thrasylle, en qui il avait une confiance absolue, lui avait dit : « Caligula ne peut pas plus devenir empereur qu’il ne peut galoper à travers la baie de Baïes à Pouzzoles. » Il avait dit également : « Dans dix ans d’ici, Tibère César sera encore sur le trône. » Cela se réalisa aussi, mais il s’agissait d’un autre Tibère César.
    En attendant, celui-là n’était pas mort. Les mouchards étaient encore à l’œuvre, et d’année en année les exécutions se multipliaient. De tous les sénateurs du temps d’Auguste c’est à peine s’il en restait quelques-uns. Macro hésitait beaucoup moins que Séjan à répandre le sang : Séjan était à tout le moins fils de chevalier, tandis que le père de Macro était né esclave. Au nombre des nouvelles victimes se trouvait Plancine, qui depuis la mort de Livie n’avait plus personne pour la défendre. Elle était fort riche : on l’accusa donc de nouveau d’avoir empoisonné Germanicus. Tibère n’avait pas voulu la faire poursuivre du vivant d’Agrippine pour ne pas donner cette joie à la malheureuse. Quant à moi, j’appris sans déplaisir que le corps de Plancine avait été précipité du haut de l’Escalier des Larmes, bien qu’elle se fût tuée à temps pour éviter l’exécution.
    Un jour, en se mettant à table avec Tibère, Nerva déclara qu’il n’avait pas faim et s’excusa de ne pas manger. Comme il se portait à merveille et semblait parfaitement satisfait de sa vie paisible à Capri, Tibère pensa d’abord qu’il avait pris une purge la veille et voulait se reposer l’estomac. Mais le jeûne s’étant poursuivi le lendemain, puis le jour suivant, Tibère commença à craindre que Nerva ne voulût se laisser mourir de faim. Il vint s’asseoir près de lui et le pria de lui dire pourquoi il ne mangeait pas. Nerva s’excusa de nouveau et répéta qu’il n’avait pas faim. Tibère pensa qu’il lui en voulait de ne l’avoir pas consulté plus tôt au sujet de la crise financière. « Mangerais-tu de meilleur appétit, lui demanda-t-il, si j’annulais toutes les lois qui fixent le taux de l’intérêt à un chiffre que tu juges trop bas ?
    — Ce n’est pas cela, dit Nerva. Je n’ai pas faim, voilà tout. »
    Le lendemain Tibère lui dit :
    — Je viens d’écrire au Sénat. On m’a raconté qu’il existait à Rome deux ou trois individus qui font métier de délateurs et gagnent leur vie en accusant les autres. L’idée ne m’était jamais venue qu’en récompensant la fidélité à l’État je risquais d’encourager ce genre de choses, mais je m’aperçois qu’il en est ainsi. Je dis au Sénat de faire exécuter immédiatement tous ceux qu’on pourra convaincre de ces agissements infâmes. Et maintenant, prendras-tu quelque chose ?
    Nerva le remercia, le félicita de sa décision, mais ajouta qu’il n’avait toujours aucun appétit. Tibère se désola.
    — Mais si tu ne manges pas, Nerva, tu mourras – et alors que deviendrai-je ? Tu sais ce que représentent pour moi ton amitié et tes conseils. Mange, je t’en supplie. Si tu meurs on pensera que c’est ma faute, ou tout au moins que tu t’es laissé mourir par horreur pour moi. Ne meurs pas, Nerva ! Tu es le seul vrai ami qui me reste.
    — C’est inutile, César, dit Nerva. Ne me demande pas de manger : mon estomac ne garderait rien. Personne, j’en suis sûr, n’aura jamais les idées dont tu parles. On te sait sage et bon – pour moi, on n’a aucune raison de me prendre pour un ingrat, n’est-ce pas ? Si je dois mourir, je dois mourir, voilà tout. La mort est le sort commun de tous les hommes. J’aurai du moins la consolation de ne pas te survivre.
    Tibère ne se laissa pas convaincre, mais bientôt Nerva n’eut même plus la force de répondre à ses questions. Il mourut au bout de neuf jours.
    Ce fut ensuite le tour de Thrasylle. Sa mort fut annoncée par un lézard – un tout petit lézard qui traversa la table de pierre et vint se jucher sur son index alors qu’il déjeunait au soleil avec Tibère. « Tu viens me chercher, frère ? lui demanda Thrasylle. Je t’attendais. » Puis, se tournant vers Tibère, il lui dit : « Ma vie touche à sa fin, César, adieu. Je ne t’ai jamais dit de mensonges. Toi, tu m’en as dit beaucoup. Mais prends garde quand ton lézard à toi t’avertira ! » Il ferma les yeux : quelques

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