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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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que m’avait laissée ma mère. Je donnai les trente mille pièces à Caligula et l’informai le soir même à dîner que je mettais mes biens en vente, afin de lui payer le reste dès que j’aurais trouvé acquéreur. « Je n’ai rien d’autre à vendre », expliquai-je. Il trouva cela fort amusant. « Rien à vendre ? eh bien, et les vêtements que tu portes ? »
    Je m’étais déjà aperçu que l’attitude la plus prudente pour moi était de feindre l’imbécillité complète. « Par Dieu ! m’écriai-je, je les avais oubliés. Voudrais-tu avoir la bonté de les mettre aux enchères ici même ? Tu es le plus merveilleux crieur du monde. » Je commençai à me déshabiller et ne gardai sur moi qu’une serviette de table enroulée autour de mes reins. Caligula vendit mes sandales cent pièces d’or chacune, ma robe mille pièces, et ainsi de suite : à chaque nouvelle enchère j’exprimais bruyamment ma joie.
    Quand il eut fini il voulut vendre aussi la serviette.
    — Ma modestie naturelle, lui dis-je, ne m’empêcherait pas de sacrifier jusqu’au dernier lambeau, si cela devait m’aider à m’acquitter de ma dette. Mais dans le cas présent, hélas, je suis arrêté par un sentiment plus fort que la modestie elle-même.
    Il fronça le sourcil.
    — Qu’y a-t-il de plus fort que la modestie ?
    — Ma vénération pour toi, César. Cette serviette t’appartient. Tu l’avais gracieusement mise à ma disposition pendant cet excellent repas.
    Ce petit jeu ne réduisit ma dette que de trois mille pièces d’or. Mais il convainquit Caligula de ma pauvreté.
    Je dus abandonner mon appartement et demeurer quelque temps chez la vieille Briséis, l’ancienne femme de chambre de ma mère, qui gardait la maison en attendant qu’on eût trouvé preneur. Calpurnia vint m’y retrouver. Le croirait-on ? la chère enfant avait encore l’argent que je lui avais donné au lieu de colliers, de singes et de robes de soie, et me proposa de me le prêter. Bien mieux : mon bétail n’était pas mort et mes meules n’avaient pas brûlé : c’était seulement une ruse pour les vendre secrètement un bon prix et mettre l’argent de côté pour s’en servir en cas d’urgence. Elle me le rendit en entier – deux mille pièces d’or – avec le compte exact signé de mon intendant. Nous nous tirâmes donc assez facilement d’affaire. Briséis était une excellente femme, pleine de dévouement pour moi. Nous vivions dans quatre pièces, avec un vieil esclave en guise de portier, et fort heureux, en somme. Pour mieux feindre un complet dénuement, j’allais tous les soirs, clopinant sur une béquille et la cruche à la main, acheter du vin dans les tavernes.
    L’enfant de Césonie, une fille, vint au monde un mois après son mariage avec Caligula. Celui-ci déclara que c’était là un prodige. Il déposa la petite fille sur les genoux de la statue de Jupiter – c’était avant sa querelle avec ce dernier – puis dans les bras de celle de Minerve : l’enfant téta un moment le sein de marbre de la déesse. Il l’appela Drusilla, nom que portait sa sœur défunte avant de devenir la déesse Panthée. Il la fit également prêtresse. Pour se procurer l’argent de l’initiation il adressa au public un appel pathétique où il se plaignait de sa misère et des lourdes charges de la paternité. Là-dessus il commença à réunir un fonds, qu’il appela le fonds Drusilla. On trouvait dans toutes les rues des troncs marqués : « Nourriture de Drusilla », « Boisson de Drusilla », « Dot de Drusilla ». Personne n’osait passer devant les Gardes postés à côté sans y déposer une piécette ou deux.
    Caligula adorait sa petite Drusilla, qui se montra bientôt aussi précoce qu’il l’avait été lui-même. À peine sut-elle parler et marcher qu’il commença avec délices à lui enseigner son « inébranlable rigueur ». Il l’encourageait à torturer de jeunes animaux et à essayer de crever avec ses ongles les yeux de ses petits camarades. « Pas moyen de te renier, ma jolie », disait-il enchanté lorsqu’elle montrait des dispositions particulières. Un jour, en ma présence, il se pencha vers elle et lui glissa d’un air entendu :
    — Au premier meurtre sérieux que tu commettras, trésor, même si ce n’est que ton pauvre vieux grand-oncle Claude, je te ferai déesse.
    — Est-ce que tu me feras déesse si je tue maman ? zézaya le petit démon. Je

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