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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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lune ? » Vitellius trembla violemment et répondit, les yeux fixés au sol : « Vous autres dieux, seigneur, avez seuls le privilège de vous voir entre vous. » Caligula fut enchanté. « Elle est très belle, Vitellius, dit-il. Elle vient souvent coucher avec moi au palais. »
    Vers cette époque, j’eus de nouveau des ennuis. Je m’imaginai d’abord que c’était une ruse de Caligula pour se débarrasser de moi – au fait, je ne suis pas encore sûr du contraire. Une de mes connaissances – un homme avec qui je jouais souvent aux dés – fabriqua un faux testament et prit la peine, afin de me faire passer pour témoin, d’y apposer une imitation de mon cachet. Par bonheur pour moi il n’avait pas remarqué, au bord de l’agate, un très petit éclat qui laissait toujours sa marque sur la cire. Le jour où on m’arrêta pour complicité de faux, j’envoyai par un soldat un secret appel à mon ami Vitellius en le priant de sauver ma vie comme j’avais sauvé la sienne. Je lui demandais d’attirer sur l’éclat d’agate l’attention de Caligula, qui devait me juger, et d’avoir à sa portée un cachet authentique pour le comparer au faux. Mais il fallait que Caligula remarquât lui-même la différence et s’en attribuât tout le mérite. Vitellius s’en tira à merveille. Caligula remarqua l’éclat, se félicita de la subtilité de sa vue, et m’acquitta en me recommandant sévèrement de mieux choisir mes relations à l’avenir. Le faussaire eut les mains coupées et suspendues autour du cou en guise d’avertissement. Pour moi, si j’avais été reconnu coupable, j’y laissais ma tête. Caligula me le dit le soir même à souper.
    — Dieu très clément, répondis-je, je ne comprends pas que tu te préoccupes ainsi de ma vie.
    Il est naturel à un neveu d’aimer à être flatté par son oncle. Il se dérida un peu et, clignant de l’œil vers le reste des convives, me demanda :
    — Et quelle valeur exacte donnerais-tu ce soir à ta vie ?
    — Je l’ai déjà calculé : un liard.
    — Et comment arrives-tu à un chiffre aussi modeste ?
    — On peut assigner une valeur à toutes les vies. Quand Jules César fut pris et menacé de mort par des pirates, sa famille, après bien des débats, versa à ces derniers vingt mille pièces d’or. La vie de Jules César ne valait donc pas plus de vingt mille pièces. Ma femme Ælia, attaquée un jour par des voleurs de grand chemin, eut la vie sauve en leur donnant une broche d’améthyste qui n’en valait guère que cinquante. Ælia ne valait donc que cinquante pièces. Quant à moi, ma vie vient d’être sauvée par un éclat d’agate qui ne pèse pas, je pense, plus d’un quarantième de scrupule. Cette qualité d’agate doit valoir environ une pièce d’argent le scrupule. L’éclat, si on le trouvait – ce qui serait difficile – et si on trouvait acquéreur – ce qui serait encore plus difficile – vaudrait donc le quarantième d’une pièce d’argent, c’est-à-dire exactement un liard.
    — Si tu peux trouver acquéreur ! s’esclaffa-t-il, enchanté de son propre esprit.
    Tout le monde applaudit, moi le premier. Pendant longtemps on ne m’appela au palais que « Térunce Claude », au lieu de « Tibère Claude ». « Térunce », en latin, signifie liard.
    Pour son culte, Caligula avait besoin de prêtres. Il était lui-même son propre grand prêtre ; les subordonnés étaient Césonie, Vitellius, Ganymède, quatorze ex-consuls, son noble ami le cheval Incitatus, et moi. Chacun de nous payait cet honneur quatre-vingt mille pièces d’or. Pour Incitatus, il l’aida à trouver l’argent en imposant un tribut annuel à tous les chevaux d’Italie : ceux qui ne paieraient pas seraient envoyés à l’équarrisseur. Il aida aussi Césonie en imposant en son nom une taxe à tous les hommes mariés pour le privilège de coucher avec leurs femmes. Ganymède, Vitellius et les autres étaient des gens riches : quelques-uns durent bien vendre des propriétés à perte pour se procurer l’argent immédiatement, mais ils n’en restèrent pas moins fort à l’aise. Il n’en était pas de même du pauvre Claude. Les gladiateurs de Caligula – sans compter ce que me coûtait le privilège de trouver le vivre et le couvert au palais – m’avaient laissé tout juste trente mille pièces d’or en caisse. En fait de propriétés, je ne possédais plus que ma petite terre de Capoue et la maison

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