Moi, Claude
un Garde s’approcha de Cassius et lui dit :
— Les jeunes gens sont là, seigneur.
Tout récemment, Caligula avait ordonné aux villes grecques d’Asie Mineure de lui envoyer chacune dix jeunes gens de sang noble pour danser à la fête la danse nationale des épées et chanter un hymne en son honneur. Ce n’était d’ailleurs là qu’un prétexte pour avoir les jeunes gens sous la main et s’en servir comme otages le jour où il tournerait sa fureur contre l’Asie Mineure. Ils auraient dû être là depuis plusieurs jours, mais une tempête dans l’Adriatique les avait retenus à Corfou.
— Va immédiatement prévenir l’Empereur, ordonna le Tigre. Le Garde courut au théâtre.
Pendant ce temps je commençais à avoir très faim. Je murmurai à Vitellius, qui se trouvait derrière moi : « Si seulement l’Empereur nous donnait l’exemple de sortir d’ici et d’aller manger quelque chose ! » À cet instant le Garde apporta la nouvelle de l’arrivée des jeunes gens. « Parfait, dit Caligula à Asprenas. Ils pourront danser cet après-midi. Il faut que je les voie immédiatement et que je leur fasse répéter l’hymne. Allons, mes amis ! La répétition d’abord, puis un bain, le déjeuner, et nous reprenons la séance. »
Nous sortîmes tous. Caligula s’arrêta à la porte pour donner des ordres au sujet du spectacle de l’après-midi. Je marchais devant avec Vitellius et les deux généraux. À l’entrée du passage couvert je remarquai Cassius et le Tigre : ils ne me saluèrent pas, ce qui me parut singulier. Nous arrivâmes au palais.
— J’ai bien faim, dis-je, et je sens une odeur de gibier. J’espère que cette répétition ne sera pas trop longue.
Nous nous trouvions dans l’antichambre de la salle des festins. « C’est singulier, pensai-je. Pas un capitaine – rien que des sergents. » Je me tournai vers mes compagnons : nouvelle surprise : ils avaient tous disparu sans bruit. À ce moment j’entendis dans le lointain des cris perçants, puis de grandes clameurs. Je me demandai ce qui arrivait. Quelqu’un passa devant la fenêtre en courant et en criant : « Il est mort. C’est fini. » Deux minutes plus tard des hurlements terribles éclatèrent dans le théâtre, comme si on massacrait l’assistance tout entière. Cela dura longtemps, puis il y eut une accalmie, suivie d’acclamations tumultueuses. Je grimpai précipitamment dans mon cabinet de lecture et tombai tout tremblant sur une chaise.
En face de moi, sur des piliers, se trouvaient les bustes d’Hérodote, de Polybe, de Thucydide et d’Asinius Pollion. Leurs traits impassibles semblaient dire : « Un véritable historien s’élève toujours au-dessus des troubles politiques de son temps. » Je résolus de me comporter en véritable historien.
33
Voici ce qui s’était passé. Caligula était sorti du théâtre. Une litière l’attendait pour l’emporter au palais par le chemin le plus long, entre deux haies de Gardes. Mais Vinicius lui dit :
— Prenons le raccourci. Je crois que les jeunes Grecs attendent là-bas, près de l’entrée.
— Fort bien, allons ! dit Caligula.
La foule essaya de le suivre, mais Vinicius resta en arrière et la repoussa.
— L’Empereur ne veut pas qu’on l’ennuie, dit-il. Arrière !
Il ordonna aux gardiens de refermer les portes.
Caligula approcha du passage couvert. Cassius s’avança et le salua :
— Le mot de passe, César ?
— Eh ! fit Caligula. Ah ! oui, le mot de passe ! Je vais t’en donner un joli : « Jupon de vieux ».
Derrière lui le Tigre demanda : « Faut-il ? » C’était le signal convenu.
— Fais ! mugit Cassius en tirant son épée et en frappant Caligula de toute sa force.
Il voulait lui fendre le crâne jusqu’au menton, mais dans sa rage il manqua son but et l’atteignit entre le cou et l’épaule. Le haut du sternum reçut toute la force du coup. Caligula, chancelant de douleur et de surprise, regarda autour de lui d’un air farouche, tourna les talons et s’enfuit. Pendant qu’il se retournait, Cassius le frappa de nouveau et lui ouvrit la mâchoire. Puis le Tigre l’abattit d’un coup maladroit sur le côté de la tête. Il se releva lentement sur les genoux.
— Frappe encore ! cria Cassius.
Caligula leva au ciel un visage d’angoisse.
— Ô Jupiter, pria-t-il.
— Accordé ! cria le Tigre en lui tranchant une main.
Aquila donna le coup de grâce
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