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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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– un coup profond dans l’aine – mais dix épées se plongèrent encore, pour plus de sûreté, dans son ventre et dans sa poitrine. Un capitaine appelé Bubo trempa la main dans une blessure du côté et se lécha les doigts en criant :
    — J’avais juré de boire son sang !
    La foule se rassemblait : on donna l’alarme : « Les Germains ! » Les assassins ne pouvaient tenir tête à tout un bataillon germanique. Ils se précipitèrent dans le bâtiment voisin qui se trouvait être ma maison natale, utilisée par Caligula pour loger les ambassadeurs étrangers qu’il ne tenait pas à avoir au palais. Ils entrèrent par le portail et sortirent par la porte de service. Tous s’échappèrent à temps, sauf le Tigre et Asprenas. Le Tigre fit semblant de n’être pas avec les assassins et se joignit aux Germains pour crier vengeance. Quant à Asprenas, il s’enfuit par le passage couvert, où les Germains le rejoignirent et le tuèrent. Ils tuèrent de même deux autres sénateurs qu’ils rencontrèrent par hasard.
    Mais ce n’était là qu’une faible partie des Germains. Le reste du bataillon envahit le théâtre et referma les portes, dans l’intention de venger par une tuerie en masse le meurtre de son héros. De là les hurlements que j’avais entendus. Personne dans l’assistance ne savait que Caligula était mort ni qu’on avait attenté à sa vie. Mais l’intention des Germains n’était que trop claire, car ils tapotaient et caressaient leurs sagaies en leur parlant comme à des êtres humains, ce qui est leur coutume invariable quand ils s’apprêtent à verser le sang. Il n’y avait pas de salut possible. Tout à coup, sur la scène, la trompette sonna le « Garde-à-vous », suivi des six notes qui signifient « Ordre de l’Empereur ». Mnester parut et leva la main. Le vacarme s’apaisa aussitôt pour faire place à des sanglots et à des gémissements étouffés, car lorsque Mnester paraissait en scène il était de règle de ne proférer aucun son, sous peine de mort immédiate. Les Germains eux-mêmes s’arrêtèrent au milieu de leurs tapotements, de leurs caresses et de leurs incantations. L'« Ordre de l’Empereur » les transformait en statues.
    Mnester cria : « Il n’est pas mort, citoyens. Loin de là. Les assassins se sont jetés sur lui et l’ont fait tomber à genoux – comme ceci. Mais il s’est relevé – comme cela. Les épées ne peuvent rien contre notre divin César. Tout blessé et sanglant qu’il était, il a levé sa tête auguste et s’est éloigné de son pas divin – comme ceci – entre les rangs de ses lâches assassins déconfits. Ses blessures se sont refermées – miracle ! Il est maintenant sur la place du Marché et harangue ses sujets du haut de la tribune. »
    Une acclamation formidable s’éleva : les Germains remirent l’épée au fourreau et quittèrent le théâtre. Le mensonge opportun de Mnester (suggéré, en fait, par Hérode Agrippa, le roi des Juifs, le seul homme à Rome qui gardât son sang-froid pendant ce fatal après-midi) avait sauvé au bas mot soixante mille vies.
    Mais la vérité était maintenant connue au palais, où elle provoquait la plus complète confusion. Quelques vieux soldats se dirent que l’occasion de pillage était trop bonne pour y renoncer. Chaque pièce avait un bouton de porte en or, facile à arracher avec une épée pointue, et qui valait six mois de solde. Ils firent donc semblant de chercher les assassins. J’entendis les cris de « Tue-les, tue-les ! vengeons César » et me cachai derrière un rideau. Deux soldats entrèrent. Ils virent mes pieds qui dépassaient.
    — Sors de là, assassin. Inutile de te cacher de nous.
    Je sortis et tombai face contre terre.
    — Ne me t… t… t… tuez pas, seigneurs, suppliai-je. Je n… ne suis pour r… r… r… rien dans tout cela.
    — Qui est ce vieux monsieur ? demanda un des soldats, nouveau venu au palais. Il n’a pas l’air dangereux.
    — Comment, tu ne sais pas ? C’est le frère infirme de Germanicus. Un brave vieux type. Pas méchant pour un sou. Lève-toi, seigneur. On ne te fera pas de mal.
    Ils me firent descendre avec eux dans la salle des festins où les sergents et les caporaux tenaient conseil de guerre. Un jeune sergent, debout sur une table, agitait les bras en criant :
    — Au diable la République ! Notre seul espoir est de trouver un nouvel empereur. N’importe lequel, du moment que nous

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