Moi, Claude
intelligent, et pendant ses deux dernières années de collège ses condisciples le choisirent pour roi – car le titre de roi, chose étrange, survécut longtemps dans les écoles. Caton, pour se faire obéir des autres élèves, devait compter avec Postumus.
Livie avait prié Caton de lui envoyer deux fois l’an un rapport sur ses élèves, pour le communiquer à Auguste si elle le jugeait bon. On mariait souvent les jeunes gens pendant qu’ils étaient encore au collège : les mariages des nobles romains devaient être approuvés par Auguste en tant que Grand Pontife, mais ils étaient généralement décidés par Livie, et ces rapports pouvaient lui servir à conclure ou à empêcher telle ou telle union. Un jour qu’elle visitait le cloître du collège, elle aperçut Postumus assis sur une chaise et dictant ses décrets royaux. Caton, l’ayant vue froncer le sourcil, s’enhardit jusqu’à signaler dans son prochain rapport qu'« à son grand regret le jeune Postumus Agrippa manifestait un caractère sauvage, intraitable et dominateur ». À la suite de quoi Livie se montra si gracieuse envers lui que le rapport suivant fut plus défavorable encore. Elle le mit de côté sans en rien dire ni à Auguste ni à Postumus.
La royauté de Postumus me valut les deux années les plus heureuses de ma jeunesse, pour ne pas dire de ma vie. Grâce à lui je pris part aux jeux du collège, m’esquivant seulement quand Auguste ou Livie apparaissaient à l’horizon. Au lieu de Caton j’avais maintenant comme précepteur le bon vieil Athénodore, qui m’apprit plus de choses en six mois que Caton en six ans. Il ne me battait pas et me traitait avec la plus grande patience. Mon infirmité, me disait-il, devait servir d’aiguillon à mon intelligence. Vulcain, le dieu des ouvriers habiles, était estropié comme moi. Démosthène, le plus grand orateur de tous les temps, était également né bègue. Athénodore employa pour me guérir la méthode de ce dernier et me fit déclamer avec la bouche remplie de cailloux : j’arrivai finalement à parler comme tout le monde, mais seulement en déclamant : dans la conversation ordinaire je bégayais toujours. Ce progrès resta un secret entre nous. « Un jour, petit singe, me disait-il, nous en ferons la surprise à Auguste, mais attendons un peu. » Il m’appelait « petit singe » par affection, non par mépris, et j’en étais fier. Pour me reprendre il me disait : « Tibère-Claude-Drusus-Néron-Germanicus, rappelle-toi qui tu es ! » Athénodore, Postumus et Germanicus aidant, je prenais peu à peu confiance en moi.
Athénodore voulait m’apprendre non pas à retenir des faits que je pouvais trouver partout sans son aide, mais à présenter ces faits correctement. Ainsi, un jour, j’étais si excité d’avoir vu des recrues parader sur le Champ de Mars que je n’arrivais pas à m’appliquer à Hésiode. « Eh bien, dit Athénodore, puisque Hésiode a déjà attendu sept cents ans, il peut encore attendre jusqu’à demain. Assieds-toi là, prends tes tablettes, et écris-moi comme si j’étais chez moi, à Tarse, en me racontant tout ce que tu as vu au Champ de Mars. » Enchanté, je me mis à gribouiller sur la cire, puis nous relûmes le tout ensemble et Athénodore m’expliqua mes fautes d’orthographe et de composition. Les lamentations des mères et des fiancées, les hourras d’adieu de la foule auraient dû venir à la fin et non au début. Il était inutile de dire que la cavalerie avait des chevaux : tout le monde le savait. Puis j’avais répété à deux reprises que l’étalon d’Auguste avait buté : une fois suffisait, puisque l’étalon n’avait buté qu’une fois. Ce que Postumus m’avait raconté en chemin sur les coutumes des Juifs était intéressant, mais hors du sujet puisque les recrues n’étaient pas juives mais italiennes ; d’ailleurs, Athénodore, à Tarse, aurait plus d’occasions d’étudier les coutumes des Juifs que Postumus à Rome. Par contre, j’avais laissé de côté plusieurs choses qui pouvaient l’intéresser : combien il y avait de recrues, dans quelles garnisons on les envoyait, si les hommes avaient l’air triste ou joyeux de partir, ce que leur avait dit Auguste.
Athénodore essaya de m’initier à la philosophie spéculative, mais il vit que je n’y mordais pas et n’alla pas au-delà des éléments indispensables en bonne société. Ce fut lui qui me donna le premier goût
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