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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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n’en avoir jamais payé aucun plus de quelques livres – n’importe quel mal bâti, s’il avait des muscles et des dents, lui suffisait. Comment il trouvait des acheteurs pour ces beaux spécimens quand il en avait assez d’eux, je me le demande ! S’il ressemblait à son descendant, mon Caton à moi, je pense qu’il devait forcer ses voisins pauvres à lui racheter sa marchandise hors d’usage au prix du neuf.
    Mon cher ami Postumus m’a dit avoir lu dans un ouvrage du temps que Caton était non seulement un ladre, mais un filou. Armateur, il trafiquait assez vilainement sous le couvert légal d’un de ses anciens esclaves. Censeur, il satisfaisait au nom de la morale publique ses rancunes personnelles. Il expulsa un homme de l’ordre des sénateurs pour « manquement à la dignité romaine » parce qu’il avait embrassé sa femme en plein jour en présence de sa fille. Là-dessus un autre sénateur, ami du premier, lui demanda si lui-même et sa femme ne s’embrassaient jamais en dehors de l’acte conjugal. « Jamais ! dit Caton. – Vraiment, jamais ? – Oh ! s’il faut tout te dire, il y a deux ans, ma femme m’a jeté les bras autour du cou pendant un orage qui l’effrayait : mais heureusement il n’y avait personne et je t’assure qu’elle ne recommencera pas de sitôt. » Il voulait dire qu’il avait fait à sa femme un sermon terrible sur son manque de dignité, mais le sénateur fit semblant de ne pas comprendre. « Pauvre Caton ! dit-il : certaines femmes ne sont pas très tendres pour un vilain mari, même avec toute la vertu du monde. Mais ne te tourmente pas : Jupiter aura peut-être la bonté de recommencer à tonner bientôt. »
    Et à qui devons-nous la Malédiction punique, sinon à ce même vieux Caton ? Chaque fois qu’on lui demandait son avis au Sénat sur quelque sujet que ce fût, il finissait son discours en disant : « Voilà ce que je pense, et aussi qu’il faut détruire Carthage. » À force d’en parler il exaspéra si bien le peuple que les Romains, comme je l’ai dit, violèrent leurs serments et rasèrent Carthage.
    Si Germanicus me défendait par la douceur, Postumus, mon aîné de deux ans, mon meilleur ami après mon frère, se battait pour moi comme un lion. Il ne craignait personne, pas même ma grand-mère Livie. Celle-ci, qui le savait favori d’Auguste, faisait semblant, de s’amuser de ce qu’elle appelait sa spontanéité enfantine. Au début Postumus, incapable de feindre lui-même, ne se défiait pas d’elle. Un jour – j’avais alors douze ans et lui quatorze – il passa par hasard devant la pièce où Caton me donnait ma leçon et entendit des coups et des supplications. Il entra furieux. « Cesse immédiatement de le battre ! » cria-t-il. Caton, le regardant avec mépris, m’assena un coup qui me renversa de mon tabouret.
    — Qui ne peut battre l’âne, bat la selle, dit Postumus. (C’était un proverbe romain.)
    — Impertinent, que veux-tu dire ? gronda Caton.
    — Je veux dire, repartit Postumus, que tu te venges sur Claude de ce que tu regardes comme une conspiration générale pour t’humilier. Le métier de précepteur est au-dessous de toi, hein ?
    Postumus était intelligent : il savait comment faire sortir Caton de ses gonds. Celui-ci, en effet, éclata en imprécations violentes. Du temps de son ancêtre, malheur à l’enfant qui eût manqué de respect à ses supérieurs ! Tandis que notre époque dégénérée permettait à un balourd comme Postumus et à un imbécile comme moi…
    Postumus l’interrompit avec un sourire.
    — J’ai bien compris. Auguste le dégénéré, en t’attachant à sa famille dégénérée, insulte à la mémoire du grand Censeur ! Je suppose que tu as dit à la noble Livie ce que tu en penses ?
    Caton se mordit la langue. Si on répétait ses paroles à Livie il était perdu. Il eut la sagesse – ou la lâcheté – de se le tenir pour dit et mes tortures quotidiennes en furent considérablement diminuées. Trois ou quatre mois plus tard d’ailleurs, à ma grande joie, il cessa d’être mon précepteur et fut nommé directeur du collège de garçons, où il retrouva Postumus.
    Celui-ci était extrêmement vigoureux. À quatorze ans il pliait sur son genou une barre de fer grosse comme mon pouce : je l’ai vu traverser le terrain de jeux avec un camarade sur chaque épaule, un sur le dos et un debout sur chaque main. Il n’était pas studieux, mais

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