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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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corps m’abritait d’Auguste : j’oubliai de bégayer et répondis nettement en grec : « Ma mère Antonia ne me bourre pas de friandises, mais elle me fait enseigner le grec par quelqu’un qui l’a appris directement d’Apollon. » Mon professeur de grec était en effet une ancienne prêtresse d’Apollon, que des pirates avaient capturée et vendue à un lupanar de Tyr. S’étant échappée, elle n’avait pu redevenir prêtresse parce qu’elle avait été prostituée : ma mère, reconnaissant sa valeur, l’avait engagée comme gouvernante. Elle prétendait tenir sa science d’Apollon lui-même. « Bien dit, petit Claude », approuva Athénodore. À dater de ce jour il devint mon ami.
     
     
    Un été, alors que j’avais huit ans, je me trouvais avec ma mère, Germanicus et Livilla chez ma tante Julie, dans une belle villa que celle-ci possédait au bord de la mer, à Antium. Il était environ six heures du soir et nous prenions le frais dans le verger avec Postumus et Agrippine, les enfants de Julie, et le fils de Tibère, Castor. Tout à coup, nous entendîmes un grand bruit au-dessus de nous : levant la tête, nous vîmes plusieurs aigles en train de se battre. Des plumes flottaient autour de nous : nous essayions de les attraper. Germanicus et Castor en mirent chacun une dans leurs cheveux : celle de Castor était petite, celle de Germanicus superbe, mais toutes les deux tachées de sang. Du sang tomba sur le visage levé de Postumus et sur les robes de Livilla et d’Agrippine. Puis quelque chose de sombre fendit l’air : instinctivement je tendis ma robe pour l’attraper. C’était un louveteau blessé, tremblant de peur. Les aigles descendirent en grands cercles pour le reprendre, mais nous leur jetâmes des bâtons en poussant de grands cris, et ils s’éloignèrent. Je ne savais que faire, n’ayant aucune envie de ce louveteau. Livilla s’en empara, mais ma mère, l’air très grave, le lui fit rendre. « C’est Claude qui l’a attrapé, dit-elle : il faut qu’il le garde. »
    Elle demanda ensuite à un vieux patricien, membre du collège des Augures, qui se trouvait avec nous, ce que signifiait ce présage.
    — Que te dirais-je ? répondit le vieillard. Cela peut signifier beaucoup de choses, ou rien du tout.
    — Ne crains rien : dis ce que tu penses.
    — Renvoie d’abord les enfants, ordonna-t-il.
    Nous nous éloignâmes : mon cher Germanicus me trouva dans un buisson d’aubépine une belle plume que je mis fièrement dans mes cheveux. Mais Livilla, se glissant derrière une haie, surprit quelques paroles. Elle éclata de rire. « Pauvre Rome ! si elle n’a que lui comme protecteur ! J’espère bien être morte avant ! »
    L’Augure se tourna vers elle, le doigt tendu :
    — Imprudente, lui dit-il, Dieu t’exaucera sans doute d’une façon qui ne te plaira guère !
    Livilla fut enfermée dans une chambre sans nourriture : elle resta en pénitence jusqu’à la fin des vacances et s’en vengea sur moi par mille ingénieuses méchancetés. Mais elle ne put nous répéter ce qu’avait dit l’Augure, car on nous fit jurer à tous, sur Vesta et nos dieux familiers, de ne jamais faire allusion au présage tant qu’une des personnes présentes serait en vie. Je suis depuis longtemps le seul survivant du groupe – ma mère et l’Augure, bien que les plus âgés, sont morts les derniers – et rien ne m’oblige plus au silence. Après cet incident je surpris souvent, fixé sur moi, le regard curieux et presque respectueux de ma mère, mais elle ne me traita pas pour cela mieux qu’avant.
    On ne m’admit pas au collège de garçons à cause de la faiblesse de mes jambes qui m’interdisait la gymnastique : d’ailleurs mes maladies avaient beaucoup retardé mes études, déjà handicapées par ma surdité et mon bégaiement. Aussi fréquentais-je peu de garçons de mon âge. On appelait pour jouer avec moi les fils des esclaves : deux d’entre eux, des Grecs, Callon et Pallas, devinrent plus tard mes secrétaires et mes hommes de confiance. Je passais aussi beaucoup de mon temps avec les femmes de ma mère : je les écoutais parler pendant qu’elles filaient ou tissaient. Beaucoup d’entre elles étaient, comme ma gouvernante, des femmes cultivées, et je l’avoue, je prenais plus de plaisir à leur société que je n’en ai trouvé depuis à celle de la plupart des hommes.
    Mon précepteur, Marcus Porcius Caton, était – à son

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