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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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j’ose donner mon avis.
    Le visage de Pollion s’illumina. Il sourit, tira sa bourse et donna de force les pièces d’or à Tite-Live. Celui-ci, avec lequel il semblait être sur un pied d’animosité amicale – vous voyez ce que je veux dire – les refusait d’un air mi-sérieux, mi-plaisant.
    — Mon cher Pollion, impossible de prendre cet argent. Tu avais raison : les jeunes gens d’aujourd’hui ne lisent que des sottises. Plus un mot, je t’en prie : je reconnais avoir perdu. Voici les dix pièces d’or : je te les paie avec plaisir.
    Pollion en appela à moi.
    — Voyons, seigneur – je ne sais pas qui tu es mais tu fais l’effet d’un garçon de bon sens – as-tu lu les ouvrages de mon ami Tite-Live ? Je te le demande, ne sont-ils pas en tout cas plus futiles que les miens ?
    Je souris.
    — Ils sont en tout cas plus faciles à lire.
    — Plus faciles, hein ? comment cela ?
    — Il fait parler et agir les anciens Romains comme des hommes d’aujourd’hui.
    Pollion était enchanté.
    — Il a touché ton point faible, Tite-Live ! Tu prêtes aux Romains d’il y a sept siècles des idées et des discours ridiculement modernes. Cela se lit facilement, soit, mais ce n’est pas de l’histoire.
    Le vieux Pollion était l’homme le mieux doué de l’époque, sans en excepter même Auguste. Proche de ses quatre-vingts ans, il était en pleine possession de ses facultés mentales et plus vigoureux que bien des hommes de soixante. Il avait franchi le Rubicon avec Jules César et combattu Pompée, puis servi sous mon grand-père Marc-Antoine avant sa querelle avec Auguste. Il avait été consul et gouverneur d’Espagne et de Lombardie : on lui avait décerné un triomphe pour une victoire dans les Balkans. Il avait été le protecteur des poètes Virgile et Horace et l’ami personnel de Cicéron jusqu’au jour où celui-ci l’avait lassé. C’était un orateur distingué, un auteur de tragédies. Mais c’est surtout dans l’histoire qu’il excellait, car son amour de la vérité absolue, qui touchait au pédantisme, s’accommodait mal des conventions des autres genres littéraires. Avec le butin de sa campagne des Balkans il avait fondé une bibliothèque publique – la première à Rome. Il y en avait maintenant deux nouvelles : celle où nous nous trouvions et une autre, qui portait le nom de ma grand-mère Octavie, mais celle de Pollion était de beaucoup la mieux organisée des trois.
    Sulpicius avait trouvé le livre, et après l’avoir remercié, Pollion et Tite-Live reprirent leur discussion.
    — Le malheur de Pollion, dit Tite-Live, c’est qu’en écrivant l’histoire il se croit obligé de supprimer tous les sentiments élevés et poétiques : il fait agir ses personnages de la façon la plus terne, et leur refuse absolument toute capacité oratoire dès qu’il les fait parler.
    — Oui, dit Pollion, la poésie est la poésie, l’éloquence, l’éloquence et l’histoire, l’histoire : on n’a pas à les mélanger.
    — Vraiment ? dit Tite-Live. Alors je ne devrais pas choisir un sujet épique sous prétexte que cela appartient à la poésie, ni mettre dans la bouche de mes généraux des proclamations qui en valent la peine, sous prétexte que c’est du ressort de l’éloquence ?
    — Tout juste. L’histoire est un rapport exact de ce qui est arrivé, de ce que les gens ont fait et dit, de la manière dont ils ont vécu et dont ils sont morts. Un sujet épique ne sert qu’à fausser le rapport. Les proclamations de tes généraux sont admirables, mais fichtrement fausses. J’ai entendu plus de proclamations militaires que n’importe qui : eh bien, César ou Antoine avaient beau être d’excellents orateurs de réunion publique, ils étaient trop bons soldats pour essayer leur éloquence sur leurs hommes. Ils leur parlaient : ils ne les haranguaient pas. Quel genre de discours nous a fait César avant la bataille de Pharsale ? Nous a-t-il parlé de nos femmes, de nos enfants, des temples sacrés de Rome et de la gloire de nos dernières campagnes ? Bon Dieu non ! Il est grimpé sur une souche de pin avec une grosse rave dans une main et un croûton de pain de soldat dans l’autre, et il plaisantait avec nous entre les bouchées. Pas des plaisanteries fines : les choses par leur nom, sans broncher. Il nous disait que la vie de Pompée était chaste en comparaison de la sienne. Ce qu’il faisait avec cette rave aurait fait rire un

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