Moi, Claude
à craindre de Julilla, qu’Auguste soupçonnait d’avoir été la complice de son mari : d’autre part elle avait une dette d’honneur envers son amie Urgulanie, dont je n’ai pas encore parlé – un des personnages les plus exécrables de mon histoire.
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Urgulanie était la seule confidente de Livie, à laquelle l’unissaient les liens les plus forts de la reconnaissance et de l’intérêt. Son mari, un partisan du jeune Pompée, avait été tué pendant la guerre civile, et Livie, alors mariée à mon grand-père, avait protégé Urgulanie et son fils nouveau-né contre la brutalité des soldats d’Auguste. En épousant ce dernier, elle lui demanda de rendre à Urgulanie les biens confisqués à son mari et invita celle-ci à venir vivre chez eux comme un membre de la famille. Grâce à son influence, Lépide, le Grand Pontife, donna à Urgulanie l’autorité spirituelle sur toutes les épouses nobles de Rome. Ceci demande une explication. Chaque année, au début de décembre, les patriciennes devaient assister au grand sacrifice de la Bonne Déesse, présidé par les Vestales de la conduite desquelles dépendaient la richesse et la sécurité de Rome pendant toute l’année qui suivait. Aucun homme, sous peine de mort, ne devait profaner ces mystères. Livie, qui avait gagné les bonnes grâces des Vestales en rebâtissant leur couvent, en le meublant avec magnificence et en leur faisant accorder par le Sénat de nombreux privilèges, insinua à la Grande Vestale que la chasteté de quelques-unes des patriciennes n’était pas au-dessus de tout soupçon. Les guerres civiles étaient peut-être dues à la colère de la Bonne Déesse contre les dérèglements de celles qui assistaient à ses mystères. Si on promettait par serment à toutes celles qui se confesseraient d’un manquement à la vertu que leur confession ne serait jamais divulguée, on aurait plus de chances d’obtenir que la Déesse fût servie uniquement par des femmes chastes.
La Grande Vestale, qui avait l’esprit religieux, trouva l’idée bonne, mais demanda à Livie d’où elle la tenait. Livie répondit qu’elle avait vu la Déesse en songe la nuit précédente : celle-ci lui avait dit que les Vestales manquant d’expérience sur les questions sexuelles, il convenait de choisir une veuve de bonne famille et de la nommer Mère Confesseur à cet effet. « Mais les péchés avoués resteront-ils impunis ? demanda la Grande Vestale. – Je n’oserais me prononcer là-dessus si la Déesse ne l’avait fait elle-même, répondit Livie. La Mère Confesseur aurait le droit d’infliger des pénitences qui resteraient un secret entre elle et la coupable. On informerait simplement la Grande Vestale qu’une telle n’assistera pas aux mystères cette année ou qu’une telle a accompli sa pénitence. » Tout cela convenait à la Grande Vestale, mais elle n’osait pas suggérer un nom de peur de déplaire à Livie. Celle-ci conseilla alors de s’en remettre au Grand Pontife : c’est ainsi qu’Urgulanie fut nommée. Ni Lépide ni Auguste ne se doutaient des pouvoirs que conférait cette nomination. Livie leur avait simplement représenté la nécessité de donner une conseillère à la Grande Vestale en matière de mœurs, « la pauvre femme s’y connaissait si peu » !
Le sacrifice annuel avait généralement lieu au palais d’Auguste, ce qui était très commode pour Urgulanie. Elle faisait venir les femmes dans sa chambre, arrangée de manière à inspirer la crainte et la sincérité, puis elle les forçait à dire la vérité sous les serments les plus terribles et, la confession terminée, les renvoyait pour réfléchir à la pénitence appropriée. Livie, qui était cachée derrière un rideau, lui en suggérait généralement une. Ce jeu les amusait énormément toutes les deux : Livie en retirait toutes sortes d’informations utiles.
Comme Mère Confesseur au service de la Bonne Déesse, Urgulanie se regardait comme au-dessus de la loi. Un jour un sénateur à qui elle devait une grosse somme d’argent la cita en justice : elle refusa de paraître devant les magistrats, et pour éviter un scandale, Livie paya la dette. Une autre fois, citée comme témoin dans une enquête sénatoriale, elle se récusa : un magistrat dut se déplacer pour venir prendre sa déposition par écrit. C’était une horrible vieille femme au menton fendu : elle se teignait les cheveux avec de la suie, mais le gris
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