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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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Mais eux les voient blancs et doux comme du plumage d’oie, et ils en ont persuadé le reste du monde.
    J’entrai dans la plaisanterie :
    — Des moutons jaunes ! quelle rareté ! comment le deviennent-ils, seigneurs ?
    — Parbleu, en buvant l’eau de la source, qui contient du soufre. Tous les habitants de Padoue sont jaunes. Regarde Tite-Live.
    Celui-ci se rapprochait lentement de nous.
    — Une plaisanterie est une plaisanterie, Pollion, et je sais la prendre du bon côté. Mais ce qui est sérieux, c’est la question de l’histoire. Je me suis peut-être trompé – quel est l’historien qui ne l’a jamais fait ? Du moins, je n’ai pas menti délibérément : tu me rendras cette justice. J’adopte volontiers tous les épisodes légendaires qui portent sur mon sujet : la grandeur antique de Rome – s’ils ne sont pas vrais dans le détail, ils le sont sûrement en esprit. Quand je trouve deux versions du même épisode, je choisis celle qui se rapproche le plus de mon sujet. Je ne vais pas fouiller les cimetières étrusques pour en découvrir une troisième qui les contredirait peut-être toutes les deux – à quoi bon ?
    — À servir la cause de la vérité, dit doucement Pollion. Est-ce que ce n’est pas quelque chose ?
    — Et si en servant la cause de la vérité nous faisions passer nos ancêtres vénérés pour des lâches, des menteurs et des traîtres ?
    — Je laisse répondre ce garçon qui débute dans la vie. Allons, réponds, jeune homme !
    Je parlai à tout hasard :
    — Tite-Live, au début de son Histoire, déplore les vices modernes et promet de démontrer que le déclin des vertus antiques est dû à l’enrichissement de Rome. Il déclare que les premiers chapitres lui seront les plus agréables à écrire, parce que en le faisant il pourra oublier la perversité des temps modernes. Mais en oubliant la perversité moderne, n’a-t-il pas quelquefois aussi oublié l’ancienne ?
    — Eh bien ? demanda Tite-Live en clignant des yeux.
    — Eh bien, balbutiai-je, y a-t-il une si grande différence entre la perversité des anciens et la nôtre ? C’est peut-être simplement une question de degré et d’occasion.
    — Je vois, dit Pollion, que le Padouan ne t’a pas fait voir en blanc ses toisons jaunes.
    J’étais fort mal à l’aise.
    — J’ai plus de plaisir à lire Tite-Live que n’importe qui, répétai-je.
    — Oui, oui, dit Pollion, c’est justement ce que disait le vieillard de Cadix. Mais toi aussi tu es un peu déçu maintenant, hein ? Porsenna, Scévola, Brutus et compagnie te restent dans la gorge ?
    — Ce n’est pas une déception, seigneur. Je n’y avais pas réfléchi avant, mais je vois maintenant qu’il y a deux manières d’écrire l’histoire : montrer aux hommes la vérité ou les exhorter à la vertu. Ta manière, et celle de Tite-Live. Elles ne sont peut-être pas inconciliables.
    — Mon garçon, tu es un orateur, dit Pollion ravi.
    Sulpicius se tenait debout sur une jambe, le pied dans sa main, et faisait des nœuds avec sa barbe.
    — Oui, dit-il, Tite-Live ne manquera jamais de lecteurs. On aime à être « exhorté à la vertu antique » par un écrivain charmeur, surtout quand il a soin de vous assurer en même temps que la civilisation moderne rend désormais cette vertu impossible. Mais les simples diseurs de vérités, « les croque-morts qui embaument le cadavre de l’histoire » pour citer l’épigramme du pauvre Catulle sur le noble Pollion, ceux qui n’en disent pas plus qu’il n’en est vraiment arrivé – ceux-là, pour retenir un auditoire, ont besoin d’un bon cuisinier et d’une cave pleine de vin de Chypre.
    Tite-Live était furieux.
    — Pollion, dit-il, tout ceci ne signifie rien. Le jeune Claude ici présent a toujours été considéré par sa famille et ses amis comme un imbécile ; pour moi je n’en avais pas convenu jusqu’à ce jour. Tu peux garder ton disciple, et Sulpicius le perfectionner : il n’y a pas de meilleur professeur de stupidité dans toute la ville.
    Quand nous fûmes seuls tous deux – Sulpicius était parti chercher un livre – Pollion m’interrogea.
    — Qui es-tu, mon garçon ? Tu t’appelles Claude, n’est-ce pas ? Tu appartiens évidemment à une bonne famille, mais je ne te connais pas.
    — Je suis Tibère-Claude-Drusus-Néron-Germanicus.
    — Bon Dieu ! Mais Tite-Live a raison : tu passes pour un idiot.
    — Oui. Ma famille a honte

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