Moi, Claude
demandai s’il voulait insinuer qu’il avait dit des mensonges sur mon compte. « Pourquoi non ? me dit-il ; je voulais Livilla, et je l’ai eue. » Je me tournai vers Livilla et lui demandai si elle était au courant de tout cela. Elle fit semblant de s’indigner et jura qu’elle n’en savait rien, mais qu’elle croyait Castor capable de n’importe quelle action malhonnête. Elle s’arracha une larme ou deux, dit que Castor était un homme pourri, que personne ne devinerait jamais tout ce qu’elle avait souffert, et qu’elle regrettait de n’être pas morte.
— Oui, c’est sa vieille habitude. Elle pleure quand elle veut, tout le monde s’y laisse prendre. Si je t’avais dit tout ce que je sais d’elle, tu m’aurais détesté quelque temps, mais je t’aurais épargné tout ceci. Et ensuite ?
— Ce soir elle m’a envoyé dire par sa suivante que Castor serait probablement retenu dehors toute la nuit par une de ses débauches coutumières et que je pouvais venir la trouver dès que je verrais une lumière à sa fenêtre, un peu après minuit. Juste au-dessous de la lumière je trouverais une croisée ouverte et n’aurais qu’à grimper sans bruit : elle avait quelque chose de très important à me dire. Ce « quelque chose » n’en pouvait signifier qu’une seule et mon cœur battit à se rompre. J’attendis des heures dans le jardin : enfin je vis la lumière apparaître à la fenêtre. Je trouvai la croisée ouverte : la suivante me guettait et me conduisit en haut, une fois là elle me montra comment passer d’un balcon à l’autre jusqu’à la chambre de Livilla afin d’éviter la sentinelle qui veillait à sa porte dans le corridor.
« Livilla m’attendait en robe de chambre, les cheveux dénoués, belle comme un démon. Elle me dit avec quelle cruauté Castor la traitait. Elle ne se reconnaissait aucun devoir envers lui, puisqu’il avouait l’avoir obtenue par fraude et que d’ailleurs il la brutalisait. Elle jeta les bras autour de moi : fou de désir, je la soulevai et la portai vers le lit. Tout à coup elle se mit à crier et à me frapper avec ses poings : je crus qu’elle devenait folle et lui mis la main sur la bouche pour la faire taire. Mais elle se dégagea et renversa une petite table qui portait une lampe et une coupe de verre. « Au secours ! au secours ! » criait-elle. On enfonça la porte : les Gardes du palais entrèrent avec des torches. Devine qui était à leur tête ?
— Castor ?
— Livie. Elle nous conduisit, tels que nous étions, en présence d’Auguste. Castor se trouvait là, bien que Livilla m’eût raconté qu’il dînait à l’autre bout de la ville. Auguste renvoya ses Gardes, et Livie, qui n’avait pas ouvert la bouche jusque-là, ouvrit l’attaque. Elle dit à Auguste que suivant son conseil elle était allée jusque chez moi pour me demander une explication en particulier au sujet des accusations d’Émilie.
— Émilie ? Quelle Émilie ?
— Ma nièce.
— Je ne savais pas qu’elle eût quelque chose contre toi.
— Elle n’a rien. Elle était dans le complot, elle aussi. Livie ajouta que, ne m’ayant pas trouvé chez moi, elle avait interrogé les Gardes : on lui avait dit qu’une patrouille m’avait vu assis sous un poirier du jardin, du côté du midi. Elle avait envoyé un soldat à ma recherche : il était revenu en disant que je n’étais pas là, mais qu’il avait quelque chose de suspect à signaler, il avait vu un homme grimper de balcon en balcon juste au-dessus du cadran solaire. Livie, sachant quel était cet appartement, avait eu grand-peur. Heureusement elle était arrivée à temps. Elle avait entendu Livilla appeler au secours : j’étais entré dans sa chambre par le balcon et allais la violer. Les Gardes avaient alors enfoncé la porte et arraché de mes bras « la jeune femme terrifiée, à demi nue ». Pendant qu’elle parlait, cette gueuse de Livilla sanglotait, se cachant la figure. Sa robe de chambre était déchirée de haut en bas – elle avait dû la déchirer exprès.
« Auguste m’appela brute et satyre et me demanda si j’étais devenu fou. Je ne pouvais nier que j’avais été dans la chambre de Livilla ni que j’avais voulu la prendre. Je dis qu’on m’avait prié de venir et cherchai à raconter l’histoire par le commencement. Mais Livilla se mit à crier : « Il ment ! il ment ! Je dormais : il est entré par la fenêtre et a voulu me
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