Moi, Claude
avait envoyé l’ordre de rappel. Deux et deux font quatre, n’est-ce pas, seigneur ? Nous autres ordonnances, nous voulions tuer le médecin, mais il est retourné à Rome sous bonne escorte.
Quand je reçus le billet de Livie m’ordonnant d’abandonner la biographie de mon père, ma perplexité augmenta. Pollion aurait-il voulu désigner ma grand-mère comme la meurtrière de son premier mari et de son fils ? C’était incroyable. Et pour quel motif l’aurait-elle fait ? Cependant, en regardant les choses en face, il m’était plus facile d’accuser Livie qu’Auguste.
Cet été-là, Tibère eut besoin d’hommes en Germanie orientale, et on leva des recrues en Dalmatie – une province jusque-là paisible et docile. Mais juste à ce moment le percepteur y faisait sa tournée annuelle : l’impôt fixé par Auguste dépassait ce que les habitants pouvaient payer, ils protestèrent violemment de leur pauvreté. Le percepteur, usant de son droit, fit saisir et vendre les plus beaux enfants des villages. Or les pères de quelques-uns de ces enfants se trouvaient parmi les recrues : le contingent tout entier se révolta, massacrant les capitaines romains. Bientôt toute notre frontière, de la Macédoine aux Alpes, fut en flammes. Par bonheur, à ce moment, les Germains demandèrent la paix : Tibère la leur accorda et put marcher contre les rebelles. Les Dalmates se dispersèrent en petites colonnes et commencèrent une guérilla habile. Ils étaient légèrement armés et connaissaient bien le pays : quand l’hiver arriva ils se risquèrent même jusqu’en Macédoine.
Auguste, à Rome, ne se rendait pas compte des difficultés contre lesquelles se débattait Tibère : il le soupçonnait de faire durer la guerre pour des raisons secrètes et lui envoya Germanicus à la tête d’une armée pour le presser d’agir.
Germanicus, qui avait vingt-trois ans, venait d’accéder, cinq ans avant l’âge légal, à sa première magistrature. Sa nomination à un commandement militaire causa de la surprise : on s’attendait à voir désigner Postumus. Celui-ci n’était pas magistrat : il instruisait au Champ de Mars les recrues de la nouvelle armée, et avait le grade de chef de bataillon. Il avait trois ans de moins que Germanicus, mais son frère Caius avait bien été nommé gouverneur de l’Asie à dix-neuf ans et consul l’année suivante. Postumus n’était pas moins capable que Caius – et après tout n’était-il pas le seul petit-fils survivant d’Auguste ?
Pour moi, en apprenant la nouvelle, je me trouvai partagé entre la joie pour l’un et le chagrin pour l’autre. J’allai trouver Postumus et arrivai chez lui, au palais, en même temps que Germanicus. Il nous reçut tous deux affectueusement et félicita mon frère de sa nomination.
— C’est pour cela que je viens, dit Germanicus. Tu es aussi bon soldat que moi : la place te revient de droit en tant que petit-fils d’Auguste. Laisse-moi aller le trouver et me désister en ta faveur. Je lui représenterai que la ville interpréterait mal la préférence qu’il me manifeste. Il n’est pas encore trop tard.
Postumus répondit :
— Cher Germanicus, tu es généreux et noble : je te parlerai en toute franchise. Tu as raison, la ville verra qu’on fait peu de cas de moi, le fait qu’on interrompe tes devoirs de magistrat, alors que moi je suis libre, aggrave encore les choses. Mais crois-moi, ma déconvenue est amplement compensée par la preuve d’amitié que tu me donnes. Je te souhaite un prompt retour et tout le succès possible.
Je parlai à mon tour.
— Pardonnez-moi, mais je crois qu’Auguste a vu plus clair là-dedans que vous ne le pensez. Vous savez qu’il soupçonne mon oncle de prolonger volontairement la guerre. S’il lui envoie Postumus, après cette vieille histoire entre les frères de Postumus et mon oncle, celui-ci pourra voir en lui un espion et même un rival. Tandis que Germanicus est son fils adoptif, tout désigné pour lui amener des renforts.
L’explication leur plut à tous deux, et nous nous séparâmes dans les meilleurs termes.
Le même soir – ou plutôt le lendemain matin de bonne heure – je travaillais dans ma chambre, au dernier étage de la maison, quand j’entendis des cris dans le lointain, puis sous mon balcon un léger bruit de lutte. Je m’approchai et vis apparaître sur le rebord une tête, puis un bras. C’était un homme en uniforme militaire : il
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