Moi, Claude
faire violence. » Livie interrompit : « Je suppose, me dit-elle, que ta nièce Émilie t’avait demandé de la violer, elle aussi ? Tu m’as l’air d’avoir beaucoup de succès auprès des jeunes femmes ! » Le coup était habile. Je dus laisser là Livilla pour me justifier de l’accusation d’Émilie. J’expliquai à Auguste que j’avais dîné la veille chez ma sœur Julilla et qu’Émilie était présente, mais c’était la première fois que je voyais la jeune fille depuis six mois. Quand donc étais-je censé avoir voulu abuser d’elle ? Auguste répondit que je le savais fort bien : c’était après le dîner, pendant que ses parents, sur une fausse alerte, étaient allés voir s’il y avait des voleurs. L’histoire était si ridicule que malgré ma fureur je ne pus m’empêcher de rire, ce qui augmenta la colère d’Auguste. Il faillit se lever de sa chaise d’ivoire pour venir me frapper.
— Je ne comprends pas, dis-je. A-t-on vraiment cru qu’il y avait des voleurs ?
— Oui, et je suis bien resté quelques minutes avec Émilie, mais sa gouvernante était là : nous avons parlé d’arbres fruitiers et d’insectes jusqu’au retour de Julilla et d’Émilius. Ceux-ci ne sont pas à la solde de Livie, tu peux en être sûr : ils la détestent – c’est donc Émilie qui a inventé toute l’histoire. Je me demandais ce qu’elle pouvait bien avoir contre moi : je ne voyais rien ; puis tout à coup la lumière se fit. Julilla m’avait dit en secret qu’Émilie était arrivée à ses fins : elle allait épouser Appius Silanus. Tu connais le jeune fat ?
— Oui, mais je ne vois pas…
— C’est bien simple. Je dis à Livie : « Que gagne Émilie à ce mensonge ? D’épouser Silanus, n’est-ce pas ? Et Livilla ? Lui as-tu promis d’empoisonner son mari actuel et de lui en procurer un plus beau ? » Le mot de « poison » prononcé, j’étais perdu. Autant valait dès lors, pendant que j’en avais l’occasion, dire tout ce que j’avais sur le cœur. Je demandai à Livie comment elle s’y était prise au juste pour empoisonner mon père et mes frères : était-elle partisan des poisons rapides ou des poisons lents ? Claude, tu crois qu’elle les a tués, n’est-ce pas ? Moi, j’en suis sûr.
— Tu as osé le lui demander ! C’est très probable. Je crois qu’elle a empoisonné aussi mon père et mon grand-père, et que ce ne sont pas ses seules victimes. Mais je n’ai pas de preuves.
— Moi non plus mais j’étais heureux de l’accuser. Je criais de toutes mes forces ; la moitié du palais a dû m’entendre. Livie sortit de la pièce et appela les Gardes. Je vis Livilla sourire : je la saisis à la gorge, mais Castor s’interposa entre nous et elle s’enfuit. Alors je me jetai sur Castor, lui cassai le bras et fis rouler deux de ses dents de devant sur les dalles. Mais je ne me débattis pas contre les soldats : cela n’eût pas été digne, et d’ailleurs ils étaient armés. Deux d’entre eux me tinrent les bras pendant qu’Auguste me couvrait d’injures et de menaces. Il disait qu’il me bannirait pour la vie dans l’île la plus désolée de son empire – que seule sa fille dénaturée avait pu lui donner un tel petit-fils. Je répondis qu’en titre il pouvait être empereur des Romains, mais qu’en fait il était moins libre que la dernière esclave d’une maquerelle ivrogne. Un jour ses yeux s’ouvriraient aux crimes monstrueux et aux mensonges de son abominable femme. En attendant, mon affection et ma fidélité envers lui n’avaient pas changé.
Des clameurs emplissaient maintenant les étages inférieurs de la maison.
— Je ne veux pas te compromettre, mon cher Claude, me dit Postumus. Il ne faut pas que l’on me trouve chez toi. Si j’avais une épée je m’en servirais : plutôt mourir en combattant que d’aller pourrir dans une île.
— Patience, Postumus ! Cède maintenant : ton tour viendra, je te le promets. Je n’aurais pas de cesse que tu ne sois libre – Germanicus non plus quand il saura la vérité. Si tu te faisais tuer, Livie triompherait à trop bon compte.
— Ni Germanicus ni toi ne pourrez démentir toutes les charges qu’on a accumulées contre moi. Vous ne ferez que vous attirer des ennuis.
— L’occasion viendra. Livie a depuis trop longtemps tout ce qu’elle veut : elle finira par ne plus se tenir sur ses gardes. Elle ne peut tarder à faire un faux pas.
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