Moi, Claude
des marchandises venant de France. Puis une révolte éclata à l’extrémité est de la province : un percepteur et son personnel furent massacrés. Varus réunit les forces dont il disposait et partit en expédition punitive. Hermann l’escorta une partie du chemin, puis le quitta en lui promettant de rassembler ses forces auxiliaires et de venir à son aide si besoin en était. Or ces forces auxiliaires étaient déjà sous les armes, embusquées à quelques journées de marche de là sur le chemin de Varus. Pendant ce temps les villages éloignés tombaient sur les détachements chargés de protéger leurs convois et ne laissaient pas échapper un seul homme.
Varus ignora tout de ce massacre, puisqu’il n’y eut pas de survivants pour porter la nouvelle ; d’ailleurs il avait déjà perdu tout contact avec son quartier général. La route qu’il suivait était une simple piste forestière : on avançait très lentement : il fallait sans cesse abattre des arbres et construire des ponts pour faire passer les chariots. Pendant ce temps des Germains de plus en plus nombreux se joignaient aux forces embusquées. Tout à coup le temps se gâta : une pluie diluvienne, qui dura vingt-quatre heures ou plus, trempa les boucliers et rendit les cordes des arcs inutilisables. La piste argileuse devint si glissante qu’on s’y tenait avec peine ; les chariots s’embourbaient ; la distance entre la tête et la queue de la colonne allait en augmentant. Enfin une fumée s’éleva d’une colline voisine : à ce signal les Germains attaquèrent brusquement de tous les côtés à la fois.
Ils ne valaient pas les Romains en bataille rangée et Varus n’avait guère exagéré leur couardise. Au début ils n’osèrent s’attaquer qu’aux traînards et aux conducteurs de chariots : ils évitaient le combat corps à corps, lançaient des volées de flèches et de sagaies et s’enfuyaient sous bois dès qu’un Romain faisait mine d’agiter son épée. Mais avec cette tactique ils tuèrent beaucoup de monde. Des groupes dirigés par Hermann, Ségimérus et d’autres chefs élevaient des barricades sur la route avec des chariots et des arbres : leurs hommes harcelaient les soldats qui essayaient de les démolir. Le compagnies se disloquaient ; les avant-gardes se faisaient décimer sur les barricades ; les arrière-gardes recevaient par-derrière des volées de sagaies. À l’appel, ce soir-là, Varus s’aperçut que près d’un tiers de ses forces lui manquait, tué ou disparu.
Le lendemain il put s’ouvrir un chemin jusqu’en terrain découvert, mais il fallut pour cela abandonner le reste des bagages. La nourriture manquait : au bout de deux jours il dut regagner la forêt. Le troisième soir un quart seulement des forces du début répondit à l’appel. Le quatrième jour le temps, qui s’était d’abord un peu éclairci, devint tout à coup pire que jamais. Les Germains, habitués à la grosse pluie, s’enhardirent de voir faiblir la résistance des Romains et se rapprochèrent.
À midi Varus vit que tout était perdu et se tua pour ne pas tomber vivant aux mains de l’ennemi. La plupart des officiers supérieurs et beaucoup de soldats l’imitèrent. Un seul resta maître de lui – ce même Cassius Chéréas que j’avais vu combattre dans l’amphithéâtre. Des cent vingt hommes qu’il avait à ce moment il parvint à en ramener quatre-vingts, après une semaine de marche en pays ennemi, jusqu’au fort d’où ils étaient partis vingt jours plus tôt. C’est peut-être là le plus bel exploit militaire des temps modernes.
Comment décrire la panique que provoqua à Rome la nouvelle du désastre ? Les gens emballaient leurs affaires et les entassaient sur des chariots comme si les Germains étaient déjà aux portes de la ville. En fait, on avait de bonnes raisons de s’inquiéter. Les pertes de la guerre des Balkans avaient été si lourdes que presque toute la réserve de l’armée d’Italie était épuisée. Auguste ne savait où trouver des troupes pour les envoyer avec Tibère s’assurer des têtes de pont du Rhin, que vraisemblablement les Germains n’occupaient pas encore. Parmi les citoyens romains mobilisables, très peu répondirent spontanément à l’appel qu’on leur adressa : marcher contre les Germains, c’était aller à une mort certaine. Auguste fit annoncer que de tous ceux qui ne se seraient pas présentés avant trois jours, un homme sur cinq serait
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