Moi, Claude
déchu de ses droits et dépossédé de tous ses biens. Comme même ainsi ils ne se décidaient pas, il en fit exécuter quelques-uns pour l’exemple et incorpora le reste de force – plusieurs de ceux-ci, soit dit en passant, devinrent d’excellents soldats. Il appela aussi une classe au-dessus de trente-cinq ans et réintégra beaucoup de vétérans qui avaient fini leurs seize ans de service, puis il forma un ou deux régiments d’affranchis. Ceux-ci, en principe, n’étaient pas mobilisables, mais les renforts que Germanicus avait emmenés dans les Balkans en comprenaient déjà beaucoup.
C’était pour moi une honte et un chagrin immenses que de ne pouvoir servir Rome en ce moment de suprême danger. J’allai trouver Auguste et le suppliai de m’envoyer là où ma faiblesse physique ne serait pas rédhibitoire. J’offris de servir d’officier de renseignements à Tibère ; je pouvais réunir et vérifier les informations sur les mouvements de l’ennemi, interroger les prisonniers, dresser des cartes et diriger les espions. À défaut de ce poste, pour lequel je me sentais particulièrement qualifié par mes travaux, je pouvais servir Tibère comme officier d’intendance, réquisitionner les ravitaillements à Rome, en tenir le compte et les distribuer à l’arrivée. Auguste sembla content de me voir me proposer d’aussi bon cœur et dit qu’il parlerait de moi à Tibère. Mais ma proposition n’eut pas de suite. Peut-être Tibère me jugeait-il incapable de servir utilement – peut-être était-il vexé de me voir faire cette demande alors que son fils Castor restait à l’arrière et avait obtenu d’Auguste la mission d’aller lever les troupes dans l’Italie du Sud. Ce qui me consolait un peu, c’est que Germanicus se trouvait dans le même cas que moi. Il s’était offert à partir pour la Germanie, mais Auguste avait besoin de lui à Rome, où il était très populaire, pour l’aider à apaiser les troubles qui risquaient d’éclater après le départ des troupes.
Cependant les Germains pourchassaient les fuyards de l’armée de Varus. Ils en sacrifiaient des centaines à leurs divinités forestières en les brûlant dans des cages d’osier, le reste était emmené en captivité. Ils firent ripaille avec le vin qu’ils nous avaient pris : des querelles sanglantes éclataient au sujet de la gloire et du butin. Ils mirent longtemps à se rendre compte qu’une marche sur le Rhin ne rencontrerait guère de résistance. Mais le vin s’épuisa : alors ils attaquèrent les forteresses de la frontière qui n’étaient guère défendues, les prirent l’une après l’autre et les mirent à sac. La seule qui résista fut celle qu’occupait Cassius. Les Germains l’auraient prise comme les autres, car la garnison était mince, mais Hermann était occupé ailleurs et aucun autre chef ne savait faire un siège à la romaine, avec des catapultes, des mangonneaux, des tortues et des sapes. Cassius repoussa plusieurs attaques aux poternes : de grands pots d’eau bouillante étaient toujours prêts pour le cas où les Germains tenteraient d’escalader les murailles avec des échelles. Ceux-ci perdirent du temps devant cette forteresse, où ils comptaient trouver un riche butin, et ne poussèrent pas jusqu’aux têtes de pont du Rhin qui se trouvaient à peine gardées.
En apprenant l’approche de Tibère à la tête de son armée neuve, Hermann rassembla aussitôt ses forces pour s’emparer des ponts avant l’arrivée des Romains. On ne laissa qu’un détachement devant la forteresse, qu’on savait mal fournie de vivres. Cassius, mis au courant des projets d’Hermann, résolut de sortir pendant qu’il était encore temps. Une nuit d’orage il se glissa dehors avec toute la garnison : il avait déjà dépassé deux des avant-postes ennemis quand les pleurs de quelques-uns des enfants qu’il emmenait donnèrent l’alarme. Au troisième avant-poste on se battit corps à corps : si les Germains avaient été moins pressés d’aller piller la ville, la troupe de Cassius n’avait aucune chance de s’en tirer. Cependant il s’échappa : une demi-heure plus tard il fit sonner le pas accéléré à ses trompettes pour faire croire aux Germains que des renforts venaient d’arriver, si bien qu’on ne chercha pas à les poursuivre. Le vent soufflait de l’est : la garnison du pont le plus proche, entendant les trompettes romaines, devina ce qui s’était passé et
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