Moi, Claude
des délégués de délégués : sans doute y avait-il beaucoup de vexations de la part des sous-ordres, et ce sont peut-être eux que Bato appelait des loups – le nom de « puces » leur eût mieux convenu. Une chose reste certaine, c’est que sous Auguste les provinces ont été infiniment plus prospères qu’elles ne l’étaient sous la République – bien mieux, les provinces frontières, administrées personnellement par Auguste, l’étaient plus que les provinces intérieures qui dépendaient du Sénat. C’est un des rares arguments plausibles que j’aie entendu donner contre la République : encore est-il basé sur l’hypothèse insoutenable que la moralité moyenne de l’élite d’une République est généralement inférieure à la moralité moyenne d’un monarque absolu et de ses subordonnés – et aussi sur l’idée fausse que le gouvernement des provinces a plus d’importance que celui de la Ville. Soutenir la monarchie à cause de la prospérité qu’elle apporte aux provinces, c’est soutenir, me semble-t-il, qu’un homme à le droit de traiter ses enfants comme des esclaves, à condition de traiter ses esclaves avec assez d’égards.
À la suite de cette guerre ruineuse, le Sénat vota un grand triomphe à Auguste et à Tibère. Germanicus, bien que César, n’eut que les ornements : Auguste aurait pu insister, mais il était si reconnaissant à Tibère d’avoir bien fini la guerre qu’il ne voulut pas risquer de le contrarier en accordant à Germanicus des honneurs égaux aux siens.
À Rome la populace escomptait avec impatience le triomphe, qui représentait pour elle des distributions de blé, d’argent et de toutes sortes de bonnes choses ; mais un grand désappointement l’attendait. Un mois avant la date fixée on observa un présage terrible : au Champ de Mars le temple de dieu de la Guerre fut presque entièrement détruit par la foudre. Quelques jours plus tard on recevait de Germanie la nouvelle du plus terrible désastre militaire subi par les Romains depuis Allia, quatre siècles plus tôt. Trois régiments massacrés – toutes les conquêtes à l’est du Rhin perdues d’un coup : rien n’empêchait plus les Germains de passer le fleuve et d’aller dévaster les riches provinces de France.
Auguste fut anéanti par cette nouvelle. Les Germains vaincus par mon père s’étaient peu à peu adaptés aux coutumes romaines : ils avaient appris à se servir de monnaie, à avoir des marchés réguliers, à bâtir et à meubler des maisons, à tenir des assemblées qui ne se terminaient pas en batailles. Nous les appelions nos alliés : on pouvait espérer qu’ils perdraient peu à peuleurs habitudes barbares et deviendraient en une génération ou deux aussi paisibles et dociles que les Français de Provence. Mais Varus, un de mes parents éloignés, nommé par Auguste gouverneur d’outre-Rhin, avait commencé à les traiter non en alliés mais en sujets. C’est de là que devait venir tout le mal.
Dans le camp de Varus se trouvaient deux chefs germaniques Hermann et Siegmyrght – ou Ségimérus – qui parlaient latin couramment et semblaient complètement romanisés. Hermann avait passé quelque temps à Rome, où on l’avait admis parmi les chevaliers. Tous deux dînaient souvent à la table de Varus et vivaient avec lui sur un pied d’amitié très intime. Cependant ils ne cessaient de communiquer en secret avec les chefs des mécontents. Ils les encourageaient à se soumettre provisoirement et à payer l’impôt en affectant la meilleure volonté possible. Le signal de la révolte en masse ne tarderait pas à sonner.
Hermann et Ségimérus étaient trop habiles pour Varus. Les membres de l’état-major avertissaient sans cesse celui-ci que la tranquillité des Germains au cours des mois précédents n’était pas naturelle : Varus en riait. Les Germains, disait-il, sont une race stupide, bien incapable de concevoir un plan ou de l’exécuter sans se trahir longtemps à l’avance. Leur docilité n’est que de la frayeur. Plus on frappe un Germain, plus il vous respecte : il peut se montrer arrogant dans la bonne fortune, mais une fois vaincu il rampe et vous suit aux pieds comme un chien. Varus refusa même d’écouter un autre chef germanique qui en voulait à Hermann et y voyait clair dans le jeu de celui-ci.
Sur les instructions secrètes d’Hermann, des villages éloignés demandèrent des troupes à Varus pour convoyer
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