Moi, Claude
envoya un détachement à la rencontre de Cassius. Enfin l’avant-garde de Tibère arriva : la situation était sauvée.
La fin de l’année fut marquée par le bannissement de Julilla – pour adultères récidivés, comme sa mère Julie. On l’envoya à Trémérus, petite île de la côte d’Apulie. La véritable raison de son exil était qu’elle se trouvait sur le point d’accoucher : si l’enfant était un garçon ce serait un petit-fils d’Auguste, sans parenté avec Livie ; et celle-ci ne voulait plus désormais courir de risques. Julilla avait bien déjà un fils, mais c’était un garçon délicat, craintif, mal bâti, dont on n’avait pas à tenir compte. Ce fut Émilius lui-même qui fournit à Livie le prétexte de l’accusation. Il s’était querellé avec Julilla et l’avait accusée, en présence de leur fille Émilie, de vouloir lui faire reconnaître pour sien l’enfant d’un autre. Il avait même nommé le présumé complice : Décimus, un patricien de la famille Silana. Émilie, assez intelligente pour comprendre que sa propre vie et sa sécurité dépendaient de la faveur de Livie, alla aussitôt trouver celle-ci et lui rapporta ce qu’elle avait entendu : Livie lui fit répéter l’histoire en présence d’Auguste. Ce dernier, ayant fait appeler Émilius, lui demanda s’il était vrai qu’il ne fût pas le père de l’enfant de Julilla. Émilius, à cent lieues de soupçonner la trahison de sa fille, supposa que les relations de Julilla et de Décimus, dont il n’avait qu’un faible soupçon, étaient déjà un objet de scandale public. Il maintint son accusation, bien qu’elle fût basée sur la jalousie plutôt que sur l’évidence. Auguste enleva l’enfant à sa naissance et le fit exposer sur une montagne. Décimus s’exila, ainsi que plusieurs autres qu’on accusa d’avoir été à un moment ou à l’autre les amants de Julilla. Parmi eux se trouvait le poète Ovide, dont Auguste, chose étrange, fit le principal bouc émissaire pour avoir jadis écrit L’Art d’aimer. C’était ce poème, disait-il, qui avait perverti l’esprit de sa petite-fille. Il ordonna de jeter au feu tous les exemplaires qu’on en pourrait trouver.
13
Auguste avait plus de soixante-dix ans. Personne, jusqu’alors, ne l’avait regardé comme un vieillard, mais ces nouveaux malheurs publics et privés le transformèrent : son caractère s’altéra, il lui devint de plus en plus difficile de garder son calme dans les banquets publics ou d’accueillir les visiteurs de hasard avec son affabilité coutumière. Il avait même tendance à s’impatienter contre Livie. Cependant il se laissa voter encore dix ans de monarchie.
Il s’habituait de plus en plus à l’idée de voir Tibère lui succéder. Il le jugeait capable de gouverner raisonnablement, avec l’aide de Livie, et de continuer sa politique ; mais il était heureux surtout de penser que le Père de la Patrie, une fois mort, manquerait à tout le monde, et qu’on parlerait de l’Âge d’Auguste comme on parlait de l’Âge d’Or du roi Numa. Tibère avait pu rendre à Rome des services signalés : il n’en était pas devenu plus populaire et ne le deviendrait sûrement pas davantage une fois empereur. Auguste se réjouissait de penser que Germanicus, étant l’aîné de Castor, son frère adoptif, succéderait tout naturellement à Tibère. Or les fils de Germanicus, encore en bas âge, étaient ses arrière-petits-fils à lui. Ainsi le sort, qui avait écarté ses petits-fils du trône, l’y ferait remonter de nouveau, pour ainsi dire, en la personne de ses arrière-petits-enfants. Car dès ce moment Auguste – comme tout le monde d’ailleurs – avait oublié la République : il admettait que quarante ans de durs et loyaux services lui donnaient le droit de choisir ses successeurs jusqu’à la troisième génération, s'il lui plaisait.
Tant que Germanicus fut en Dalmatie je ne lui parlai pas de Postumus dans mes lettres, de peur que quelque agent de Livie ne les interceptât, mais à son retour je lui racontai tout. Il en fut très troublé et me dit qu’il ne savait que penser. Par principe il refusait toujours de croire le mal jusqu’à ce qu’on lui en eût donné des preuves irréfutables. En général cette extrême simplicité le servait. La plupart des gens qu’il fréquentait, flattés de la haute opinion qu’il avait d’eux, s’efforçaient de s’en montrer dignes.
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