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Mon Enfant De Berlin

Mon Enfant De Berlin

Titel: Mon Enfant De Berlin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Wiazemsky
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vous », dit-il à Claire. Claire, très émue, tendit la main en se demandant ce qu’il avait trouvé à lui offrir dans ce lieu de ruines et de désolation. « Mon poignard. Cela vous servira si un de ces ivrognes parvenait malgré tout à forcer la porte dans l’intention de vous violer. » Et devant son air surpris : « Surtout n’hésitez pas à le lui planter dans la gorge ou le cœur. » Puis il se retira. « Tu parles d’un cadeau, plaisanta Mistou. — Espérons que tu n’auras pas à t’en servir », ajouta Plumette. Claire, elle, contemplait fascinée le poignard. « Le premier cadeau de Wia... » Elle savait déjà qu’il y en aurait d’autres.
    Elle ne se trompait pas. Wia prit l’habitude de lui en offrir selon ce qu’il parvenait à échanger avec les Anglais et les Américains. Claire collectionnait des insignes militaires qu’elle cousait à l’intérieur de la veste de son uniforme. Elle reçut de nouveaux écussons, mais son rêve était d’obtenir des étoiles rouges soviétiques. « Très difficile mais j’y arriverai. Soyez un peu patiente, ayez confiance en moi », lui avait promis Wia. Et avec cette enfantine assurance qui lui était propre : « Vous n’avez pas remarqué ? Je suis très débrouillard ! »
    Assurance justifiée ou vantardise ? Claire n’arrive pas à comprendre la personnalité de cet homme. Il ne ressemble pas à ceux qu’elle a côtoyés jusque-là, il la surprend, l’amuse, l’effraye. Suivant les moments, elle le trouve très beau ou alors trop bizarre avec sa grande taille, sa maigreur de rescapé, ses yeux d’un bleu profond et ses oreilles décollées. Il a un charme certain, de cela elle est sûre, elle le vérifie à chacune de ses apparitions. Dès que Wia entrait dans une pièce, les filles devenaient plus coquettes et les hommes retrouvaient des réflexes de camaraderie virile. Chez les unes comme chez les autres, la bonne humeur, presque en toute circonstance, l’emportait. Wia semblait ne jamais se rendre compte de l’effet qu’il produisait. Cette espèce de candeur déconcerte particulièrement Claire. Et s’il était tout simplement un crétin, un crétin inculte ?
    — Mon Dieu, Mistou, qu’est-ce que je vais devenir ? Qu’est-ce qui m’arrive ?
    Mistou, maintenant réveillée et résignée à l’être, attrape un paquet de cigarettes, en allume deux et en tend une à Claire.
    — C’est ton soupirant qui te met dans cet état ?
    Claire a un sursaut d’indignation. Wia, également exquis avec toutes les femmes quel que soit leur âge ou leur rôle dans l’immeuble, avait vite dévoilé son attirance pour l’une d’entre elles. Les filles de la Croix-Rouge comme les secrétaires de la Division des personnes déplacées n’avaient pas tardé à remarquer l’admiration avec laquelle il la regardait, l’émoi qu’elle provoquait chez lui.
    — Quel soupirant ? De quoi tu parles ? Je ne comprends pas.
    — Le prince russe aux grandes oreilles décollées.
    — C’est ce qu’il a de mieux, ses grandes oreilles décollées !
    Claire est sincère. Elle allait se confier à Mistou, lui avouer sa terreur à l’idée d’être amoureuse, sa joie aussi, mais une douleur soudaine l’en empêche. Elle écrase sa cigarette et se laisse tomber sur l’oreiller en gémissant.
    — Je la sens, elle est là, elle monte...
    — Quoi ?
    — La migraine.
     
    Mistou, en quittant la chambre pour rejoindre leur équipe, avait pris soin de tirer les rideaux de façon que la lumière du jour n’importune pas son amie. Elle l’avait laissée gémissante mais n’avait pu s’empêcher de lui demander sur le pas de la porte : « Qu’est-ce qui est le pire pour toi ? Le prince russe ou la migraine ? » Son rire, dans l’escalier, avait mis Claire au bord des larmes. Elle ne veut ni se lever, ni retrouver ses camarades, ni affronter le regard interrogateur de Wia. Comment a-t-elle pu se laisser aller à éprouver un sentiment amoureux aussi fort ? Après sa rupture avec Patrice, elle s’était juré de se contenter de quelques flirts, c’était le prix à payer pour préserver sa chère liberté enfin reconquise. Et voilà qu’elle s’éprend d’un étranger dont elle ignore tout, un ancien Russe, presque un Soviétique, sans métier, d’un milieu qui n’est pas le sien, « un milieu cosmopolite » comme on dit à son propos. Aimer un homme, n’importe quel homme, la met immédiatement en

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