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Mon Enfant De Berlin

Mon Enfant De Berlin

Titel: Mon Enfant De Berlin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Wiazemsky
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ton uniforme a l’air d’avoir été emprunté et on dirait que ta croix de Lorraine est en diamants ! Impossible d’imaginer la vie de chien que tu mènes ici », avait ajouté une autre. « Claire est très bien et nous, les filles, on est fières d’elle », avait conclu Rolanne.
    Quarante-huit heures durant, des trains ramènent des Alsaciens. Claire et Wia se retrouvent ensemble pour les accueillir. Pour une fois, les Soviétiques n’en ont dissimulé aucun et certains officiers, avec qui Wia a fini par se lier, leur ont ouvertement facilité la tâche. Claire n’a pas le temps de s’interroger sur ce qu’ils éprouvent l’un pour l’autre mais elle a conscience d’un certain changement dans le comportement de Wia à son égard. Il est encore plus attentif, d’une bonne humeur inégalée et, ce qui ne lui ressemble guère, d’une étonnante discrétion. Contrairement à ce qu’elle a pu craindre, il n’a fait aucune allusion à un quelconque sentiment amoureux, ni même cherché à la voir seule. Mais elle sait son regard posé en permanence sur elle. Un regard curieusement confiant, comme s’il connaissait ce que l’avenir leur réserve et qu’il lui laissait, à elle, Claire, tout le temps nécessaire pour le comprendre aussi.
    Le 11 novembre au soir, une grande fête a lieu au 96 Kurfürstendamm pour célébrer l’armistice de 1918. On se reçoit d’un étage à l’autre, la porte sur la rue demeure ouverte en permanence, un flux constant d’invités se joint aux habituels locataires. Des Français, des Anglais, des Américains et des Soviétiques se côtoient dans une entente parfaite, oublient pour quelques heures ce qui, le jour, les divise. Comme il y a beaucoup plus d’hommes que de femmes, les filles des Croix-Rouge française et belge ne cessent de danser, passant de bras en bras. Les Françaises portent l’uniforme bleu Royal Air Force de rigueur mais toutes ont pris le temps de se maquiller et de se coiffer.
    « Vous êtes si belle », murmure Wia à l’oreille de Claire. Il la tient enlacée contre lui et lui répète inlassablement la même phrase. Cela fait plusieurs danses de suite qu’elle lui accorde, elle ne fait plus attention aux autres officiers. Ceux-ci, d’abord contrariés, semblent avoir renoncé à elle et s’être donné le mot pour l’ignorer. Si elle avait été attentive, elle aurait remarqué que plus personne ne s’adresse à eux, qu’ils sont comme isolés.
    Mais Claire n’est attentive qu’à ce qu’elle éprouve serrée contre Wia, à ce sentiment de sécurité, si nouveau pour elle, qu’il lui communique. Pourtant, il danse mal et lui marche régulièrement sur les pieds, pourtant il ne lui parle pas, hormis son « Vous êtes si belle » qui le rend, à la longue, un peu ridicule. « Il n’a aucune conversation », pense Claire. Et cette découverte loin de l’effrayer, l’amuse. Il lui semble que dans ses bras rien ne ressemble à ce qu’elle avait éprouvé dans d’autres bras, avec d’autres hommes. Elle se sent surtout redevenir femme avec une intensité qui soudain la trouble. Alors, dans un involontaire réflexe de défense, elle esquisse un geste pour le repousser : « C’est invraisemblable ce que vous dansez mal ! dit-elle. — Invraisemblable ? — Oui. — C’est grave ? » Loin d’être vexé, il rit. « Oui. Enfin, non... » Il prend sa tête dans sa main, la guide délicatement vers sa poitrine. Claire sent contre sa joue l’étoffe rugueuse de la veste militaire. Il a refermé ses bras sur ses épaules et la tient étroitement enlacée. Elle entend sa respiration, si calme, si régulière, le murmure de sa voix près de son oreille. « Qu’est-ce que vous baragouinez ? — Je ne baragouine pas, je vous parle en russe. » Ils restent encore quelques minutes silencieux, presque sans bouger, alors qu’autour d’eux tous les danseurs se déchaînent sur un rythme de boogie-woogie. Enfin, il se détache d’elle et, en la tenant à bout de bras, en la regardant droit dans les yeux avec un curieux mélange de joie intense et de gravité : « Je vous aime. Oui, c’est exactement ça, je vous aime et je ne veux pas vivre sans vous. »
     
    Mistou est rentrée de Paris. Elle a rapporté du courrier, des vêtements chauds et le numéro 1 d’un nouveau journal féminin, Elle . Sur la couverture, une belle femme en veste rouge et chapeau noir, brandit en souriant un chat roux aux yeux

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