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Mon Enfant De Berlin

Mon Enfant De Berlin

Titel: Mon Enfant De Berlin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Wiazemsky
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renverser. Cela s’est passé juste devant moi. Cela fait la troisième fois depuis que je suis en Allemagne et les trois fois, les trois Allemandes sont mortes dans mon ambulance.
    Lundi, on repart en zone russe. Dimanche, on fait une grande fête pour le 11 novembre.
    Cette fois encore, maman, excusez cette lettre que je ne relirai pas car il est (tenez-vous bien !) 4 heures du matin.
    J’ai reçu le parfum. Merci mille fois, il est merveilleux.
    Mistou part lundi pour Paris, elle vous apportera des photos de moi.
    Je vous embrasse de toutes mes forces ainsi que mon papa qui m’a oubliée mais que j’aime toujours autant.
    Votre petite Claire. »
     
    En quelques gestes rapides, Claire se déshabille, suspend son uniforme sur un cintre et enfile son pyjama. Elle a éteint la veilleuse qui lui permettait d’écrire sans réveiller Mistou, elle peut enfin se glisser entre les draps.
    Dans le grand lit qu’elles partagent, Mistou dort sur le dos. Un souffle régulier sort de ses lèvres et Claire croit distinguer qu’elle sourit dans son sommeil. Elles se sont très bien habituées l’une à l’autre, on les croit des sœurs ou du moins des amies de toujours. Claire aime à penser qu’une année de guerre équivaut à plus de dix années de vie normale. Les épreuves traversées avec Mistou, Rolanne et Plumette, les victoires, les joies partagées les unissent bien plus que ne le feraient de simples liens familiaux.
    « Il faut dormir, maintenant », se dit Claire.
    Mais elle ne peut pas trouver le sommeil et commence à se tourner et se retourner. Son cerveau agité refuse le repos, ses pensées filent à une allure vertigineuse, dans toutes les directions. En quelques secondes, elle passe d’un état heureux, presque euphorique, à des bouffées de panique qui l’empêchent de respirer.
    Elle n’a pas tout dit à sa mère.
    Elle n’a pas dit l’essentiel.
    Elle lui a fait le récit minutieux des quarante-huit heures passées à récupérer les Alsaciens prisonniers des Soviétiques, elle a insisté sur l’échec de leur tentative le premier jour, sur leur décision de revenir le lendemain et enfin sur la réussite totale de leur mission. Sans cette ténacité, vingt-cinq hommes étaient voués à une mort certaine. Des Alsaciens français enrôlés de force dans l’armée allemande, des « malgré nous » comme on les appelle. Sans s’attarder, elle a mentionné un deuxième officier parlant russe. Elle n’a pas précisé, ou alors si peu, l’importance de son rôle.
    Claire imagine sa lettre comme un jeu d’enfant, un dessin où serait cachée quelque part, dans le feuillage d’un arbre, dans les nuages ou le pelage d’un animal, la figure principale, le sujet de la devinette.
    Elle revoit dans les moindres détails la soirée de la veille dans la cuisine des filles quand, avec Rolanne et le premier officier parlant russe, elle s’était sentie si abattue, si impuissante. Une vraie souffrance pour eux trois. Et puis un deuxième officier travaillant lui aussi dans la Division des personnes déplacées était descendu les rejoindre.
    Claire entend encore sa voix assurée, joyeuse, annoncer comme s’il s’agissait d’une anodine promenade : « Eh bien, nous n’avons plus qu’à y retourner demain matin à la première heure. Je vous jure que nous les sauverons tous. » Claire s’était aussitôt levée : « J’irai avec vous. — J’y compte bien. » Claire sait que c’est à ce moment précis et avec ces simples mots qu’ils s’étaient enfin avoué leur amour. Car Claire, dans son insomnie, admet maintenant ce qu’elle refusait de voir : elle est tombée amoureuse de ce Français d’origine russe dès leur première rencontre.
    — C’est bientôt fini, cette danse de Saint-Guy ? Tu m’as réveillée à force de gigoter !
    Claire se redresse brutalement et, se prenant la tête entre les mains :
    — Mon Dieu, Mistou, qu’est-ce que je vais devenir ?

 
    Il s’appelle Yvan Wiazemsky, il est né en 1915 à Saint-Pétersbourg et sa famille, comme des centaines d’autres, a émigré au moment de la Révolution. Longtemps apatride, sa famille a obtenu la nationalité française dans les années trente. Wia, comme tout le monde le surnomme, a été mobilisé dès la déclaration de guerre. Il a tout de suite été fait prisonnier. Cinq années de camp, cinq années de privations n’ont pas eu raison de sa confiance, de sa joie de vivre. Délivré par les

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