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Mon Enfant De Berlin

Mon Enfant De Berlin

Titel: Mon Enfant De Berlin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Wiazemsky
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danger, alors celui-là... Claire s’est toujours débrouillée pour ne pas beaucoup souffrir. Elle sait très bien tenir ses amoureux à distance, manier l’ironie, se moquer, décourager. Le tout avec un mélange d’humour et d’amitié qui fait qu’on ne peut pas lui en vouloir. Elle pense encore qu’elle ne vaut pas grand-chose et qu’un homme qui l’aime est un sot. Un sot qui se méprend sur son compte. Si elle est honnête, c’est exactement ce qu’elle a éprouvé à propos de Patrice, bien sûr, mais aussi d’André, du jeune lieutenant de Béziers dont elle avait aussitôt oublié le nom, de Pierrot, de Minko. Elle corrige : non, Minko ne peut pas figurer dans cette énumération. Elle avait pressenti tout de suite le danger qu’il représentait pour elle, son pouvoir de séduction. Après l’histoire de l’ambulance, elle avait su l’éviter, son instinct l’avait merveilleusement protégée. Alors, pourquoi cet instinct n’avait-il pas joué, ici, à Berlin ?

 
    Depuis le partage de la ville, en juillet 1945, Berlin est devenu une gigantesque machine à trier les réfugiés. Ils sont environ un demi-million à arriver chaque mois dans les secteurs anglais et américain. Des Allemands, femmes, enfants, vieillards ; des expulsés de Tchécoslovaquie ; des prisonniers de guerre et tous ceux qui, en général, fuient les Soviétiques. Selon les premiers chiffres, on prévoit que durant l’hiver 1945-1946 près de vingt millions d’Allemands, plus du quart de la nation, se retrouveront sur les routes du pays en ruine. Cet afflux énorme de populations sinistrées complique le travail de la division dirigée par Léon de Rosen et des Croix-Rouge française et belge. Les équipes du 96 Kurfürstendamm continuent à se rendre dans les gares, dans les camps soviétiques, plus loin encore dès que quelqu’un leur signale une possible présence française ; à Frankfurt an der Oder où des trains déversent des êtres qui n’ont plus de nationalité, plus d’identité, plus de place en ce monde. Parmi eux se trouvent des Juifs qui ont miraculeusement survécu, des Allemands qui ont fui le régime d’Hitler mais aussi d’anciens volontaires français qui ont servi dans les armées nazies et qui cherchent à se faire passer pour d’anciens prisonniers ou des Alsaciens, des « malgré nous ». Tous, aussitôt débarqués, sont conduits dans le camp de rassemblement de Zehlendorf, entièrement sous le contrôle des Américains. En novembre 1945, on comptabilise plus de cinq mille personnes hébergées dans ce seul camp, soit treize nationalités. Une cinquantaine d’autres camps de transit ont été improvisés à la hâte à Berlin.
    Claire côtoie chaque jour le destin tragique de ces milliers d’êtres humains. Participer au sauvetage de quelques-uns est comme une réponse aux questions qu’elle se pose, comme la justification de son existence. Cela n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’elle a connu durant la guerre, à Béziers. Il ne s’agit plus pour elle de participer à des actions héroïques, de soutenir les mouvements de la Résistance. Il ne s’agit plus de suivre les armées de libération mais de mener une autre lutte plus obscure, plus ingrate, une lutte minuscule : chercher, trouver et sauver de la mort des personnes oubliées. Maintenant, elle sait qu’elle aime profondément la vie à Berlin. Elle la trouve à la fois cruelle, sordide et étrangement belle. Assez proche de l’image qu’offre la ville en ruine, et qui pourtant se reconstruit. Comme durant la guerre, elle s’étonne de mener une vie qu’elle croyait réservée aux héroïnes des romans, des romans qu’elle dévorait adolescente et qui lui faisaient paraître si terne son quotidien de jeune fille.
    « Où est la place de Wia ? » songe-t-elle en achevant de se brosser les dents. Elle n’a plus la migraine, quelques heures de sommeil l’ont reposée. Elle ne se sent pas sereine pour autant mais son sens des responsabilités a repris le dessus : elle doit aller trouver Plumette et lui demander l’emploi du jour, ce qu’elle doit faire en priorité.
    Mistou est partie prendre quelques jours de repos à Paris. Claire lui a donné des lettres pour sa famille et des photos d’elle, des portraits, exécutés en studio, dans des lumières très raffinées où, pour une fois, elle se trouve jolie. « Une vraie star de cinéma ! » avait constaté une de ses compagnes. « Même

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