Mon frère le vent
dans la chambre de Trois Poissons, appela Samig, chuchotant mais assez fort pour que les trois petits se mettent à pleurer.
— Samig ! Il y a des gens qui arrivent. Des Morses. Je les ai entendus. Le Corbeau est là. Je vais me cacher. Je pars dans les collines et j'emporte nos fils.
Samig l'entourait déjà de ses bras, comme si, de sa seule chair, il pouvait la protéger des lances et des couteaux.
— Non. Tu es ma femme. Le Corbeau ne peut rien contre moi.
Petit Couteau surgit de sa chambre en se frottant les yeux. Samig lui tendit une javeline courte.
— Va chercher mon père et Longues Dents. Préviens-les que les hommes Morses sont là, avec le Corbeau.
Le garçon quitta l'ulaq. Kiin aurait voulu l'accompagner, aurait voulu se battre contre le Corbeau à la place de Samig.
— Je n'y retournerai pas, dit-elle.
Comme personne ne réagissait, elle insista.
— Je n'y retournerai pas. Je suis ici avec mes fils, avec mon peuple. Je n'y retournerai pas.
Samig accrocha son regard. Puis il prit entre ses doigts le collier de perles de coquillage qu'il portait.
— Il y a longtemps, dit-il, j'ai fait cela pour toi. Tu me l'as confié en gage. Maintenant, je te le rends.
Samig posa le collier dans les mains de Kiin. Les perles étaient encore chaudes de la chaleur de sa peau et Kiin eut le sentiment de voir pour la première fois la véritable force de Samig. Pas la largeur de ses épaules ou la dureté de ses muscles sous sa peau, mais le pouvoir émanant de son âme.
Femme du Ciel et Femme du Soleil étaient debout, encerclées par les chasseurs Rivières. Tous les chasseurs étaient munis de couteaux ou de lances dont la pointe était tachée de sang.
— Tant d'armes sont-elles nécessaires contre deux vieilles femmes ? demanda Femme du Ciel.
Ils ne répondirent pas. Femme du Soleil se tourna alors vers sa sœur à qui elle dit dans la langue des Premiers Hommes :
— Ce sont des Rivières, regarde leurs vêtements. Ils ne te comprennent pas.
L'un d'eux s'avança et bredouilla en Morse :
— Où être vos hommes ?
— Tu sais bien qu'ils sont morts, répondit Femme du Ciel. Mais un jour ils se vengeront.
— Où être celui appelé Saghani ?
— Je ne connais aucun Saghani.
L'homme saisit la vieille femme par le bras qu'il lui tordit dans le dos.
— Tu crois pouvoir faire mal à une vieille ? s'exclama Femme du Ciel. Tu te crois puissant parce que tu es plus musclé. Il existe une force que tu ne comprends pas.
L'homme Rivière la lâcha. Elle se frotta le bras et dit :
— Je ne mens pas. Il n'y a personne du nom de Saghani.
L'homme Rivière se tourna vers un des chasseurs à qui il s'adressa en mots précipités. Finalement, l'homme dit à Femme du Ciel :
— Le Corbeau. L'homme Corbeau. Il dire être chaman.
— Il n'est pas là. Il est parti en voyage de troc. Je ne peux pas dire où. Qui sait dans quel village on peut trouver un commerçant ?
L'homme la fixa un instant du regard et déclara :
— Lui vivre. Lui trouver son peuple mort. Vous, les deux vieilles, dire Corbeau que nous le guetter. Un jour Peuple des Rivières le trouver. Le tuer. Lui nourrir nos chiens, comme sa femme.
Puis il repoussa Femme du Ciel et quitta la demeure, suivi des autres.
Les deux sœurs s'assirent, prirent une natte mortuaire et se mirent à tisser.
— En avons-nous suffisamment ? s'enquit Femme du Soleil.
Femme du Ciel jeta un regard par-dessus son épaule à la pile de nattes près du mur.
— Presque.
Samig, Kayugh et Longues Dents se tenaient sur la plage et appelèrent les hommes assis en silence dans les
ikyan. Du haut des ulas. Petit Couteau et Premier Flocon attendaient, lances et propulseurs dans la main droite, couteaux dans la main gauche. Dans chaque logis, les femmes attendaient, les enfants dormaient.
— Venez à nous maintenant, appela Samig. Je suis alananasika. Si vous êtes venus troquer, vous êtes les bienvenus. Si toi, le Corbeau, tu es venu te battre, alors viens au petit matin. Ou bien la nuit cache-t-elle ta honte ?
Kayugh posa la main sur le bras de son fils, pressa les doigts et Samig sut que son père l'avertissait contre toute parole prononcée sous le feu de la colère.
Pas de réponse. Aucun bruit. Samig crut même que Kiin s'était fourvoyée. Peut-être n'avait-elle entendu que le vent portant des paroles émises bien avant. C'est alors que vint une voix, une voix d'homme qui fit croire à Samig qu'il rêvait. Mais Kayugh déclara
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