Mon frère le vent
hommes qui les accompagneraient. Même aux femmes qui viendraient, ajouta Waxtal, qui ne donna pas le choix à Kukutux. Pourquoi, après avoir gagné la bataille, retourner au village morse pour ramener les femmes ? Pourquoi risquer d'être séparés par la neige et la glace ?
Le Corbeau et Waxtal — ainsi que les Chasseurs de Baleines et de nombreux hommes venus du village Morse — pagayèrent donc en direction de la plage des Commerçants.
Six jours plus tard, les hommes Rivières quittèrent leur village, luttant contre la glace et les vents gelés dans leurs bateaux de pêche peu maniables. Ils s'embarquaient pour un périple de quatre jours jusqu'au village de Saghani — trente hommes, chacun nourrissant l'espoir de tuer Saghani.
Les hommes Rivières parvinrent au village Morse la quatrième nuit. Les habitations étaient faiblement éclairées par les lampes à huile.
— Pas de chiens, murmurèrent les chasseurs, surpris par le calme qui régnait.
Ils avaient tout prévu avec soin. Commençant aux confins du village, ils se séparèrent au fur et à mesure qu'ils se déplaçaient de logis en logis pour se rassembler au fond du village. Ils arrivèrent en premier à la demeure de Poils au Menton, se glissèrent à l'intérieur, se déplaçant debout en silence à la façon dont ils faisaient dans la forêt.
Poils au Menton avait décidé de ne pas accompagner le Corbeau. Lui, sa femme et leurs enfants dormaient. Ils se réveillèrent à l'instant où les couteaux leur tranchèrent la gorge. Ils hurlèrent mais les hommes Rivières les bâillonnèrent d'une main et nul n'entendit.
Shuku et Takha sur ses genoux, Kiin les berçait en chantant. Samig s'assit à côté d'elle et tendit la main vers Shuku. L'enfant ouvrit les yeux un instant, sourit et baissa à nouveau les paupières.
— Je suis trop heureuse, dit Kiin.
Mais Samig posa deux doigts sur ses lèvres pour que ces paroles retournent dans sa bouche.
— C'est une bonne chose, dit-il. Mais n'incite pas les esprits à reprendre ce que nous avons.
La voix intérieure de Kiin répéta ce qu'avait dit Samig puis lui rappela son frère mort, Qakan, son père, Waxtal, sans doute mort lui aussi. Pourquoi attirer leurs esprits avec des mots ?
Kiin tendit Shuku à Samig et prit Takha. Ils mirent les garçons dans la chambre de Kiin et, debout, les contemplèrent un moment. Puis Trois Poissons fut là, elle aussi, les yeux posés sur les petits, son fils tétant au creux de ses bras.
Samig se pencha pour murmurer à Kiin :
— Cette nuit, je dois la passer avec Trois Poissons.
Kiin approuva d'un signe de tête, refusant de se laisser aller à regretter de devoir partager son époux. Trois Poissons avait été mère de Takha, femme de Samig quand tout cela était impossible à Kiin. Nombreuses Baleines connaîtrait Kiin comme sa mère et serait aussi un fils pour elle.
Les anciennes railleries de son frère Qakan lui revinrent à l'esprit, les nombreuses fois où il lui avait dit qu'elle ne serait jamais épouse, jamais mère. Désormais, elle avait quatre fils, car Petit Couteau lui appartenaii aussi.
Elle regagna la pièce principale de l'ulaq, s'assit avec des peaux de phoque à coudre. Kiin se mit à fredonner, un chant qui lui vint comme souvent lorsqu'elle était heureuse, un chant sans paroles. Posant son ouvrage, elle grimpa le rondin qui menait au toit. Elle s'installa dehors, dans la fraîcheur du vent, sans parka, sans jambières, vêtue de ses seuls tabliers.
Le vent était comme de l'eau sur sa peau, propre et froid. Le trou du toit des ulas laissait échapper la douce lumière des lampes, mais l'obscurité dissimulait la plage et l'eau de la baie. Dans les collines, les loups hurlaient, ce qui ramena Kiin aux mois passés au village Morse. Elle frémit et s'apprêta à rentrer lorsqu'elle entendit un murmure porté à son oreille au-dessus de l'eau.
Elle regarda du côté d'où venait le son, écarquilla les yeux dans l'espoir de distinguer quelque chose, prêta l'oreille, mais plus rien.
« C'était un mot Morse », dit sa voix intérieure avec clarté.
Kiin demeura un instant immobile, n'entendit rien et répondit à son esprit :
— Ce n'étaient que les loups. Leurs chants me ramènent toujours chez les Chasseurs de Morses.
Mais Kiin perçut un autre mot et reconnut la voix. Le Corbeau. Avec une infinie précaution, elle se glissa dans le trou du toit. Une fois à l'intérieur de l'ulaq, elle sauta du rondin, courut
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