Mon frère le vent
le dos à Samig, les fils de Chasseur de Glace se tenaient au bord de l'eau près de leur ikyak.
— Nous n'avons aucun différend avec cet homme ou son épouse, dit celui qui avait une cicatrice.
— Alors, je le combattrai moi-même.
Samig s'écarta de ses épouses et s'avança à la rencontre de Roc Dur. Mais, surgissant de l'ombre, Kayugh le devança.
— Mon fils n'a pas maudit ton village, dit-il. Aurait-il appelé la colère des montagnes sur son propre peuple comme sur le tien ? N'oublie pas que notre village aussi a été détruit.
— Toi, Kayugh, as-tu perdu tous tes chasseurs ? Tes enfants sont-ils morts ? Tes femmes ?
— Nous avons survécu parce que nous avons choisi de quitter notre île. Vous en avez décidé autrement. Ne reproche pas à un autre ce qui t'est arrivé.
— J'accuse l'homme qui a attiré la malédiction sur nous, et je tuerai cet homme.
— Tu devras te battre avec moi avant de te battre avec mon fils.
Roc Dur s'esclaffa et Samig en profita pour s'avancer à hauteur de son père.
— Je me battrai contre lui, dit-il avec un grand calme, seulement pour Kayugh.
— Tu es fatigué.
— Je me battrai. Si je dois mourir, que je meure.
Kayugh baissa la tête, attendit longuement puis finit
par reculer.
— Un couteau ? demanda Roc Dur.
Samig tint en l'air la lame d'obsidienne d'Amgigh.
— Un couteau.
Alors, Samig décrivit une fois encore des cercles, lame en avant, mais, du coin de l'œil, il repéra un mouvement, quelqu'un entrait dans le cercle de sable foulé. Tournant la tête, persuadé qu'un autre Chasseur de Baleines venait à la rescousse de Roc Dur, il vit qu'il s'agissait de Petit Couteau. Son cœur se tordit d'angoisse.
— C'est mon combat. Reste à l'écart ! lui cria Samig.
— Pas question s'il ne le fait pas non plus, répliqua Petit Couteau en pointant sa lance vers un homme debout derrière un des feux.
C'était Oiseau Crochu, lance et projecteur au poing.
— Roc Dur, faut-il que tes chasseurs livrent tes propres batailles ? demanda Samig.
Du coup, Chasseur de Glace et ses fils vinrent se poster derrière Petit Couteau, prêts à lutter.
— Aucune malédiction ne se rompt par la tricherie, proclama Chasseur de Glace.
Phoque Mourant s'avança et posa ses armes à ses pieds.
— Nous ne sommes venus que pour mettre fin à la malédiction qui pèse sur notre peuple, pas pour la transmettre à autrui.
— Oiseau Crochu, tu es un sot, s'exclama Roc Dur. Je suis assez fort pour lui régler son affaire. Pourquoi douter ?
— Il n'y a pas de malédiction. Il ne devrait pas y avoir de combat, intervint Kayugh.
— Traqueur de Phoques, tu n'as pas vu mon île, protesta Roc Dur. Nous continuons de mourir, même si le courroux de la montagne est apaisé. Comment peux-tu affirmer qu'il n'existe aucune malédiction ?
— Admettons un instant qu'il y en ait une, qu'est-ce qui te permet d'affirmer que c'est la faute de mon fils ?
— Nous n'avions pas de problèmes avant son arrivée.
— Vous aviez un autre chef, à cette époque, un homme qui respectait les esprits. Peut-être la malédic-tion est-elle due à quelque chose que tu as toi-même apporté à ton peuple.
Roc Dur jeta son arme. Samig regarda l'homme s'éloigner, aller trouver Oiseau Crochu, lui parler avec rudesse, en hurlant. Samig tourna le dos, rejoignit Kayugh et Petit Couteau, Chasseur de Glace et Phoque Mourant.
Extrêmement las, il restait planté là, debout, sans un mot, se raidissant pour empêcher les esprits trembleurs qui l'avaient envahi d'ébranler ses bras et ses jambes. Alors, quand le grognement sourd de Petit Couteau se mêla aux paroles de ceux qui se tenaient près de lui, Samig ne se tourna même pas vers son fils. Mais voyant les yeux de Kayugh s'emplir d'horreur, Samig comprit et rattrapa son fils qui tombait, une lance plantée dans le dos.
Le poids de Petit Couteau fit ployer Samig qui tomba à genoux. Il blottit le garçon dans ses bras, formulant des paroles et des promesses qu'il ne tiendrait jamais, jusqu'à ce qu'il comprenne que l'esprit de son fils s'en était déjà allé, chassé de son corps par la lance.
Samig regarda en arrière Roc Dur et Oiseau Crochu. Roc Dur avait son projecteur à la main. Oiseau Crochu disait :
— Ta lance a pris Petit Couteau. Samig vit toujours.
Chasseur de Glace lança son javelot en plein dans la gorge d'Oiseau Crochu. Une autre lance vola. Oiseau Crochu et Roc Dur gisaient à terre dans leur
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