Mon frère le vent
sur la plage. Les deux hommes étaient près de leur ik et passaient la main sur la couverture en peau de morse.
Roc Dur resta un moment à les observer sans un mot puis les appela.
— J'ai partagé mes épouses avec les commerçants. J'ai donné nourriture, eau et huile. Ils ont habité un bon logis. Ma femme est chez moi, maintenant, et elle pleure sans arrêt. Que lui avez-vous fait ?
— Rien, dit Œuf Moucheté d'une voix forte et ferme.
— Demande à Waxtal. C'est lui qui l'a eue, ajouta Hibou. Nous avons dormi seuls.
— Où est-il ?
— Il est parti, répondit Hibou. Il a emporté notre viande, notre huile et le contenu de nos sacs.
Hibou donna un coup de pied dans une peau de caribou vide près des claies.
— Regarde ce qu'il a fait à notre kayak, dit Œuf Moucheté.
Sortant un couteau de sa manche, il souleva un bord
à l'aide de sa lame pour montrer une entaille sur toute la longueur du ventre du bateau.
— Vous allez partir à sa recherche ? demanda Roc Dur.
— Avec quoi ? Un de tes chasseurs nous laisserait-il utiliser son ikyak ?
— Comment un chasseur peut-il donner son frère ? demanda Roc Dur.
— Tu n'as personne qui échangerait un ik contre un ikyak ? s'enquit Hibou.
— Tu veux qu'un chasseur te donne son ikyak contre un bateau de femme ? On ne chasse pas la baleine avec un ik.
— Un ik de commerçant, insista Œuf Moucheté.
— Quelle différence ? Un bateau de femme comme un ik de chasseur déshonoreraient la baleine. Mais je vais poser la question. Peut-être un de mes chasseurs est-il devenu fou.
Œuf Moucheté s'assombrit mais n'ajouta mot.
— Aucune de tes femmes ne possède un ikyak ayant appartenu à un époux ou à un frère mort ? demanda finalement Hibou.
— Les hommes Chasseurs de Baleines emportent leur ikyak avec eux dans les Lumières Dansantes.
— Une de tes femmes échangerait-elle son kayak ?
— Contre quoi ? s'enquit Roc Dur en se penchant pour soulever un des sacs vides. Qu'avez-vous à troquer ?
Hibou porta la main aux nombreux colliers de perles qui pendaient à son cou.
— Une femme a besoin de son ik pour pêcher, remarqua Roc Dur. Crois-tu qu'elle puisse se nourrir de colliers ? D'ailleurs, tu ne rattraperas pas l'ikyak de Waxtal avec un bateau de femme.
En deux pas rapides, Œuf Moucheté se retrouva face à face avec le chef dont il saisit le suk à deux mains.
— Nous sommes venus dans cette île maudite avec nos charmes et nos amulettes pour vous gagner la faveur des esprits. Maintenant, nous avons tout perdu. C'est ta faute. Ta malédiction est retombée sur nous.
Roc Dur sortit son couteau de manche de son fourreau et le tint, lame à plat contre le cou d'Œuf Moucheté.
— Suis-je responsable de vous ? siffla-t-il entre ses dents. Vous êtes arrivés sur cette île sans invitation. Vous avez mangé ma nourriture, habité ce village, usé de mes femmes et vous me reprochez tout ce que vous avez perdu ?
Alors, Hibou s'avança, arracha les mains de son frère du suk de Roc Dur, puis serra le poignet de Roc Dur pour détourner la lame.
Roc Dur recula et s'arracha à l'emprise de Hibou.
— Tu as amené Waxtal, dit-il. C'est l'un des tiens.
— Il se proclame ton frère.
— Seulement à la façon dont les Traqueurs de Phoques sont frères de tous les Chasseurs de Baleines. Seulement cela.
Œuf Moucheté regagna son ik en ricanant.
— Je vais dire à mes femmes de réparer votre ik.
— Nous avons ici quatre ventres de phoque d'huile, dit Hibou en désignant ceux que Waxtal avait abandonnés sur la plage. J'en donnerai deux pour une femme — sans enfants à s'occuper — pour nous aider. Et réchauffer nos lits la nuit. Assure-toi qu'elle sait coudre et cuisiner.
Voyant que Roc Dur ne répondait rien, Hibou tapota ses colliers.
— Elle aura aussi quelques colliers.
Roc Dur regarda en l'air puis le bout de ses pieds. Il gratta les graviers du talon.
— Peu importe qu'elle soit vieille, précisa Hibou.
— Pas trop, ajouta Œuf Moucheté.
Roc Dur hocha la tête.
— Je vais essayer de vous aider, dit-il enfin. S'il y a une chose dont nous ne manquons pas dans ce village, c'est de femmes.
Il rentra chez lui. Le rang de perles de coquillage que
Waxtal lui avait données cette nuit était froid sous son suk et le grattait. Une fois dans sa chambre, il ôta le collier, le roula en boule et le fourra dans une crevasse à l'endroit reculé où le gazon était mou entre les pierres et
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