Mon frère le vent
derrière le rideau.
Il retint son souffle et attendit. Rien. Il soupira. Les hommes étaient sans doute partis se coucher. Mais peut-être mangeaient-ils et reprendraient-ils leur conversation après. Autant attendre. Il avait toute la nuit pour dormir.
Au bout d'un moment, Hibou s'éclaircit la gorge. Waxtal sourit. Il avait eu raison.
— Bon, on le laisse. Et après ? dit Hibou. Les Chasseurs de Baleines n'en veulent pas. Il est paresseux et ne sait pas chasser. Roc Dur sera furieux contre nous et nous ne pourrons plus revenir commercer.
— Tu veux troquer avec ces Chasseurs de Baleines ? lança Œuf Moucheté. La malédiction de cet endroit a déjà atteint mes os. Nous sommes restés trop longtemps. Je ne tiens pas à revenir. Qu'avons-nous à montrer pour le temps que nous avons passé ici ? Quelques ventres de phoque de vieille huile de baleine. Nous avons donné plus que ça pour leurs femmes.
— Waxtal a des têtes de harpons.
— Quatre, pour trois ventres d'huile.
Le silence se fit de nouveau.
— Alors quand ? demanda enfin Hibou.
— Demain. Waxtal a dit qu'il se rendrait dans les collines pour jeûner. Quel meilleur moment pour l'abandonner ?
— Et si les Chasseurs de Baleines essaient de nous en empêcher ?
— Dans quel but ? Ils n'ont que faire de bouches à nourrir.
— Et l'ik de Waxtal ? On le prend ?
— Il faudrait être plus de deux pour manœuvrer un ik et un ikyak sur une longue durée. Le prochain village est à plusieurs jours d'ici.
— Et les défenses ?
Nouveau silence. Puis Waxtal entendit un rire, profond et tranquille.
— Il a mangé la valeur de plusieurs défenses depuis qu'il est avec nous.
— Je prendrai aussi les têtes de harpon. Sur bien des points, ce vieil homme est un sot, mais il s'y connaît en commerce.
— Il dit que le Peuple des Rivières donnera deux femmes pour une tête de harpon.
Waxtal se rallongea sur les fourrures. Ainsi, Hibou et Œuf Moucheté pensaient lui prendre ses affaires et le laisser. Il rit intérieurement.
Waxtal attendit que les deux hommes gagnent leur chambre et guetta le souffle régulier de leur sommeil. Puis il rampa jusqu'aux sacs qu'ils cachaient au fond de la réserve de nourriture. Presque toutes les marchandises s'y trouvaient. Seuls leurs colliers, leurs armes, quelques ventres d'huile de baleine et quelques paniers de baies séchées étaient dans leur chambre. Le reste — huile, cuirs, fourrures, viande séchée — était empaqueté dans des peaux de caribou.
Waxtal prit presque tout plus quatre vessies d'eau suspendues aux chevrons. Il prit dans sa chambre ses armes et ses outils à sculpter puis s'empara d'une natte en peau de phoque qu'il posa sur la lampe à huile jusqu'à ce que la flamme se noie dans l'huile. Une fois dans l'obscurité, il hissa le tout sur le toit. Ce faisant, il chuchota des prières et des promesses aux esprits, les suppliant de faire dormir les marchands et de leur boucher les oreilles.
Bientôt, il n'eut plus que ses défenses, l'une sculptée, l'autre lisse. Il les monta et emporta tout dans son ikyak. Il emplit la proue et la poupe des provisions et marchandises, marquant une pause pour arracher un collier de perles de coquillage d'un sac appartenant à Hibou et le passer autour de son cou. Il arrima le tout bien en équilibre, à droite et à gauche, en avant et en arrière. Il dut finalement abandonner six ventres de phoque d'huile sur la plage — ainsi que les sacs vides des commerçants.
Il faisait sombre, c'était le cœur de la nuit. La marée était haute, il serait donc plus aisé, espéra Waxtal, de lancer son ikyak et d'éviter les rochers. Il porta deux ventres d'huile à l'ulaq de Roc Dur et appela doucement du haut du toit. Une lampe à huile brûlait, jetant contre les murs l'ombre longue et obscure d'une femme.
Waxtal avait oublié son nom. Elle avait passé plusieurs nuits avec Œuf Moucheté, ça, il s'en souvenait, mais rien de plus.
— Je dois parler à Roc Dur, dit Waxtal.
— Qui es-tu ? demanda-t-elle en se levant.
— Waxtal, le marchand.
Elle hésita.
— Il dort, dit-elle enfin.
— J'ai de l'huile pour payer la transaction que nous avons faite. J'ai fait des promesses aux esprits et je dois m'en aller maintenant et vite. Je veux que Roc Dur ait l'huile avant mon départ.
La lampe éclaira la tête de la femme par-dessous et jeta des ombres sur ses yeux ; son visage avait l'air d'un masque servant à appeler les
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