Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
neutres comme la Turquie, l’ URSS (avant son entrée en guerre), la Suède, et, si possible, l’Amérique. Mes supérieurs tenaient beaucoup à disposer d’un tableau réel et complet de la situation militaire et politique. Pour cela, il était indispensable de ne pas se contenter des émissions en anglais, français ou polonais des radios alliées, dont le contenu par trop « propagandiste » nécessitait d’être corrigé par les nouvelles et les analyses des commentateurs politiques et militaires des pays neutres. Si mes rapports étaient pessimistes ou décourageants, ils étaient tenus secrets et n’étaient utilisés que par nos chefs. Le plus souvent toutefois, les rapports que je fournissais servaient à la presse clandestine de Krakow xcix .
Durant cette période, notre travail atteignit sa plus grande intensité et il y eut malheureusement une augmentation proportionnelle du nombre des arrestations. Une grosse erreur avait été commise dans l’organisation de la Résistance, au début de la guerre, et elle avait eu de graves conséquences. En effet, la plupart de ses membres avaient fondé leurs calculs sur la certitude que la guerre serait courte. Les catastrophes et les tragédies que cette hypothèse erronée causa furent incalculables.
Un mouvement clandestin qui mise sur une guerre courte cherche à semer le maximum de chaos et de désorganisation. Il s’agit d’empêcher l’occupant d’asseoir son contrôle sur le pays. Une telle conception compte sur l’effet conjugué du plus grand nombre d’actions en différents points à la fois. La conspiration et le secret sont sommaires parce que considérés comme provisoires. On escompte le succès davantage du désordre semé que de la perfection de sa propre organisation.
Une évaluation erronée du facteur temps peut aboutir à un véritable désastre. Les premiers membres de la résistance polonaise furent, jusqu’à un certain point, victimes d’une erreur de ce genre. Dès la fin de 1939, fonctionnaient en Pologne de très nombreuses organisations clandestines, militaires et politiques, rassemblant des masses de gens recrutés dans toutes les classes de la société. Chacune avait essayé de développer son activité sur la plus grande échelle possible. Si la guerre s’était terminée en 1940 comme chacun le présumait alors, toutes ces forces auraient pu être jetées dans le combat au moment décisif et peser d’un poids considérable. Au contraire, l’été 1940 nous apporta la nouvelle désespérante de la défaite de la France et la certitude qu’une victoire de nos alliés, si victoire il devait y avoir, n’interviendrait pas avant longtemps. Mais dans bien des cas il n’était plus possible de contenir l’expansion spontanée et générale du mouvement clandestin. Une vague d’arrestations s’ensuivit, emportant beaucoup de nos dirigeants de grande valeur. C’était l’époque où, l’un après l’autre, tombèrent Rataj, Rybarski, Niedzialkowski, Dabski et bien d’autres, exécutés ou disparus c . Les « centres d’organisations autonomes », comme nous les appelions, les unités isolées, non rattachées à une entité centrale puissante, furent les premières victimes. Alors que ces unités auraient pu faire un travail efficace dans une guerre courte, leur survie était très difficile et même impossible pendant une longue période d’hostilités. Elles succombèrent rapidement sous la puissance policière de la Gestapo. La seconde moitié de l’année 1940 et la première moitié de l’année 1941 furent les périodes de nos pires souffrances – nous avons ainsi payé de notre sang nos illusions politiques sur la France et la Grande-Bretagne ci .
Nous tirâmes les leçons des désastres subis pendant cette période. Si nous voulions poursuivre notre action sur une grande échelle – il était évident que nous ne pouvions nous dérober à la tâche qui nous incombait –, il fallait entièrement changer de système d’organisation. Notre survie et notre succès exigeaient désormais la coordination de toutes les unités isolées en une puissante organisation centrale. Seule cette organisation centrale pouvait développer les ressources financières et s’organiser pour fabriquer ou obtenir les documents innombrables qui étaient indispensables à un travail clandestin fructueux. Parmi ces documents, citons les papiers d’identité ( Kennkarten ), les certificats authentiques des bureaux
Weitere Kostenlose Bücher