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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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hasard chez une famille d’origine française, les Bourdo, installés à Warszawa depuis le XIX e siècle. Nous nous entendions bien. C’était un bon vivant, un garçon spirituel, vif et volubile, bien qu’il sût tenir sa langue quand il le fallait. Il était extraordinairement âpre au gain et trafiquait toutes sortes de denrées amenées en fraude de France, mais aussi de la cocaïne et de la morphine. Ses clients étaient presque exclusivement des Allemands même si parfois, pour diverses raisons, la Résistance s’approvisionnait également auprès de lui. Je résolus d’exploiter sa cupidité. J’avais appris par expérience qu’il est plus facile d’entortiller quelqu’un qui se croit une forte tête qu’un garçon naïf et honnête.
    Je savais que tous les trois mois les Français travaillant en Pologne avaient droit à un congé de quinze jours pour aller voir leur famille en France. Après avoir directement vérifié que Tienpont allait sous peu bénéficier d’un tel congé, j’orientai la conversation chez nos amis sur ce sujet et je l’invitai à dîner au restaurant pour le lendemain. Il accepta immédiatement.
    J’arrivai en avance afin de demander au serveur que je connaissais de ne pas laisser vide le verre de mon invité.
    Il saisit immédiatement : « Il faut qu’il soit bien “traité”. Comptez sur moi. »
    Le Français arriva d’excellente humeur en se frottant les mains. Je lui demandai la raison de cette joie :
    — Vous avez l’air heureux comme si vous aviez découvert une mine d’or.
    Il s’esclaffa :
    — Une « mine » quand même pas, mais enfin ! Mon collègue m’a fait parvenir de France de l’opium. Les Allemands aiment cela. Ça va toujours rapporter quelque chose.
    — J’avais une proposition à vous faire, mais maintenant, si vous êtes riche…
    — Attendez, attendez !… Est-ce que j’ai dit que j’étais riche ? Je le serai peut-être un jour. Pour le moment je ramasse sou après sou… Quelle est votre proposition ?
    — Je dois quitter la Pologne quelque temps pour me rendre à Paris. J’y ai des amis…
    — En quoi cela me concerne ? m’interrogea-t-il. Je ne suis pas un passeur !
    — Quand vous recevrez votre autorisation de congé, vous me remettrez vos papiers. J’y changerai les photos et je pourrai partir. Pendant ce temps-là, vous pourrez vous reposer dans un domaine des environs de Lublin et, au bout de quinze jours, vous vous présenterez à votre travail et déclarerez le vol de vos papiers dans le tramway. L’amende coûte pour cela deux cents marks que nous ajouterons naturellement au prix total. Êtes-vous d’accord ?
    Le Français commença par faire valoir les risques. Après quelques hésitations, le marché fut conclu pour trente mille zlotys.
    En sortant du restaurant, Tienpont me prit par le bras :
    — Je ne veux pas savoir pourquoi vous allez en France, ni ce que vous avez l’intention d’y faire. Cela ne me regarde pas. Je crois comprendre que vous n’appréciez pas ce que, moi, je fais ici. Oublions cela. Avant tout, je suis français. Peut-être un Français stupide et mauvais, mais… j’ai accepté votre proposition parce que je hais les Allemands, et je veux aider les gens comme vous…
    J’informai immédiatement mes supérieurs de cette chance qui s’offrait ; mon idée fut d’abord accueillie avec beaucoup de scepticisme mais je finis par les convaincre et obtins le feu vert. La plus grande difficulté était de passer pour un Français, car si je connaissais bien la langue, j’avais un accent prononcé. Sur le territoire du Generalgouvernement et du Reich, je ne prévoyais pas de difficultés. J’allais parler en allemand. Je le maîtrisai moins bien que le français mais après tout j’allais le parler en tant que Français, cependant une fois la frontière française franchie, le premier Français venu se rendrait compte que j’étais un étranger. Face à cette difficulté, la seule solution était de parler le moins possible. Tout le reste, falsification des papiers, etc., n’était plus pour nous qu’un jeu d’enfant. Les documents que je devais transporter en Angleterre seraient microfilmés. Il fallait que j’emporte la valeur de plus d’un millier de pages : sur microfilms, le tout, pas plus grand que trois allumettes, serait dissimulé dans le manche d’un rasoir si impeccablement soudé qu’il serait impossible de découvrir la cachette cxxxiv . En pensant

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