Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

maintenant ?
    — Suis-moi.
    Il me fit traverser une série d’étroits corridors et de petites pièces. Nous nous arrêtâmes enfin à la porte d’une grande salle et il me dit d’attendre. J’entendis « Il est arrivé ». Il revint et me fit signe d’entrer.
    J’aperçus, assis autour de la table, les hommes entre les mains desquels reposaient les destinées de la Pologne : le délégué en chef, le commandant en chef de l’Armée de l’intérieur, le directeur du bureau de la Délégation du gouvernement cxxxvii , et les représentants des principaux partis politiques. Je les connaissais tous très bien, excepté les représentants du Parti national et du Parti chrétien du travail. Ceux-ci étaient des hommes nouveaux car leurs prédécesseurs, que j’avais bien connus, venaient d’être arrêtés.
    Le leader du Parti socialiste polonais cxxxviii , que j’avais déjà rencontré plusieurs fois, et le commandant en chef vinrent à ma rencontre avec l’intention évidente de me mettre à l’aise. Le commandant en chef était de haute taille, courtois et d’un certain âge. Il parlait lentement, avec des gestes mesurés. Il me mit gentiment son bras autour des épaules et me demanda :
    — Quand partez-vous pour l’Angleterre, jeune homme ?
    Je répondis respectueusement :
    — Dans une semaine environ, mon général.
    — Tout est-il prêt ?
    — Oui, mon général. Je n’attends plus qu’une entrevue avec les leaders politiques juifs et des entretiens particuliers avec les leaders des partis.
    Le commandant eut un petit rire.
    — Ah ! Ces jeunes gens ! Désirez-vous vraiment partir ? La dernière fois nous avons eu toutes les peines du monde à vous arracher à la Gestapo… À propos, comment vont vos mains ? Montrez-nous comment cela se présente maintenant.
    Je relevai mes manches et lui tendis les bras. Les autres se rassemblèrent autour de nous pour les examiner.
    — On m’a fait une greffe, il y a quelques mois, dis-je en regardant mes mains comme si je les voyais pour la première fois. À part quelques petites cicatrices, elles se sont bien guéries. Notre médecin a admirablement travaillé.
    Le chef du Parti socialiste, un homme âgé, remarqua, sur un ton légèrement irrité :
    — À mon avis il n’est pas raisonnable de vous avoir choisi pour cette expédition. Ces cicatrices peuvent vous trahir… La Gestapo peut vous reconnaître. (Un silence. Puis il haussa les épaules et ajouta :) Et puis, au diable tout cela ! Qui peut savoir ce qui est dangereux et ce qui ne l’est pas ? Mettons-nous au travail.
    Nous nous assîmes autour de la table. Le délégué, qui était resté debout, attendit que le bruit des conversations se fût apaisé, puis ouvrit la séance par un discours solennel dans les formes :
    — J’ai l’honneur d’ouvrir la trente-deuxième réunion du Comité exécutif de la Représentation politique. Étant donné l’importance de l’ordre du jour, j’ai pris la liberté d’inviter le commandant de notre Armée de l’intérieur, à qui je souhaite la bienvenue. Le but de notre conférence est de remettre à notre courrier Witold des documents, destinés à notre gouvernement à London et aux représentants de nos partis politiques auprès du gouvernement, sur la situation de la Pologne et l’activité de la Résistance. Notre émissaire devra aussi entrer en contact avec les autorités des nations alliées et les mettra au courant de notre situation. Naturellement, ce sera par l’intermédiaire de notre gouvernement, qui a déjà été prévenu par télégramme du départ et de l’itinéraire prévu de notre émissaire. Les chefs des partis remettront leurs documents à Witold et celui-ci les transmettra à leurs représentants respectifs à London au cours d’entretiens particuliers.
    Il se tourna vers moi et, me fixant dans les yeux, ajouta en appuyant :
    — Nous sommes convaincus que notre émissaire s’acquittera de cette mission avec une totale impartialité, et qu’il remettra les documents à lui confiés aux seuls destinataires désignés, nonobstant ses opinions politiques personnelles. Aujourd’hui, il recevra nos instructions officielles et nous lui ferons part de notre point de vue sur les problèmes politiques les plus importants. Sa mission est exclusivement politique. Les contacts en matière militaire ont été établis par une autre voie.
    Le sténogramme de la séance fut ensuite transposé en langage