Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
accord, tous les Polonais tournaient ostensiblement autour de l’endroit où s’élevaient les monuments. On fit même des prières en ces lieux. Les « Petits Loups » employaient les bouquets ou les couronnes de fleurs comme messages symboliques. On en trouvait à profusion à l’emplacement des anciens monuments. Ils en éparpillaient aux endroits où un membre de la Résistance avait été exécuté ou arrêté, et partout où un crime particulièrement odieux avait été commis par les nazis.
Rien ne pouvait arrêter les « Petits Loups » ; leurs exploits étaient innombrables ; c’était autant d’épines acérées dans le flanc de l’occupant et ils étaient très populaires. Tadek Lisowski était l’un deux cxxxii .
Lorsque le jour vint où Tadek me quitta, il devait se sentir légèrement coupable, car il se lança dans un grand discours où il m’exprimait sa gratitude pour tout ce que j’avais fait pour lui. Il conclut en me priant de ne jamais dire à sa mère en quoi allaient consister ses nouvelles missions, et qu’elle continue de croire qu’il était encore avec moi. Je me fis tirer l’oreille, mais finalement j’y consentis. J’avais bien compris qu’il ne voulait pas que sa mère s’inquiète des nouveaux dangers qu’il allait courir dans l’action directe de diversion. Nous nous séparâmes fort bons amis. Il parut ému lorsque je lui dis que je savais que je ne pouvais recevoir de lui que de bonnes nouvelles et qu’il ferait toujours son devoir.
Je ne devais plus jamais le revoir.
Mon succès pédagogique avec Tadek m’incita à essayer de jouer au pédagogue avec quelques-uns des jeunes gens de ma famille. Mais je ne réussis pas aussi bien. Une de mes jeunes cousines, Zosia, récompensa néanmoins mes efforts.
Elle avait environ dix-huit ans, c’était la fille d’un de mes oncles qui avait perdu sa femme en 1940. Ils n’avaient pas de fortune – mon oncle était un modeste fonctionnaire – et Zosia avait dû prendre la maison en main, se chargeant de toutes les tâches matérielles.
Elle était laide, gauche, anguleuse, avait des cheveux couleur paille et un teint blafard. Mais son énergie et sa vive intelligence compensaient largement ces défauts. Elle trouvait, malgré son dur travail de maîtresse de maison, le temps et la force de fréquenter le soir un lycée clandestin de la Résistance.
Le département de l’Éducation de la Résistance avait atteint, en 1942, l’année où Zosia obtint son examen de maturité (baccalauréat), son rendement maximal cxxxiii . Dans le seul district de Warszawa, plus de quatre-vingt-cinq mille enfants et jeunes gens avaient bénéficié de l’enseignement clandestin. Mille sept cents diplômes de maturité avaient été délivrés cette année-là.
Les élèves se réunissaient secrètement chez eux, par groupes de trois à six, sous différents prétextes : pour jouer aux échecs, pour faire une visite de politesse ou pour travailler. Le professeur qui venait les rejoindre courait un grand danger. Les enfants sont curieux, il est difficile de les empêcher de chercher à connaître la véritable identité de leur maître, l’école où il a enseigné avant la guerre, l’endroit où il vit et autres détails qu’il était dangereux d’apprendre même aux adultes. Un mot échappé à un parent ou à un élève et c’était la mort, la torture pour ces hommes dont un certain nombre furent pris par la Gestapo dans l’exercice de leurs fonctions si utiles.
Zosia devait passer son bachot clandestin en septembre 1942. Plusieurs semaines avant son examen, elle ne parlait plus que de cela. Je fus très étonné de savoir que ces examens étaient presque au niveau d’avant la guerre. Zosia devait passer des examens écrits et oraux en polonais, anglais et latin, et des examens écrits de physique et de mathématiques.
Elle s’arrangea pour m’enrôler comme répétiteur d’anglais. Nous travaillions tard le soir. Je fus autorisé à assister à l’examen, car je devais aller peu après en Angleterre, pour y faire un rapport sur la Pologne.
Avant l’examen, le président du jury fit un petit discours aux élèves, leur rappelant le dur combat qu’ils avaient à mener tous contre la volonté de l’Allemagne nazie de détruire la Pologne.
Désireux d’éviter une trop longue attente, je profitai d’un assoupissement du surveillant pour passer à Zosia un billet où je lui disais que je l’attendrais
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