Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
au voyage, j’étais tout à fait tranquille. Les détails en étaient soigneusement préparés. Les temps de l’improvisation étaient révolus et la Résistance se montrait beaucoup plus soucieuse de la sécurité de ses émissaires.
Quelques jours avant mon départ, mon agent de liaison m’apporta un minuscule billet écrit sur papier fin : il m’informait que je devais me présenter deux jours plus tard devant le Comité exécutif de la Représentation politique en Pologne ; que Grot et Rawicz seraient présents et que l’organisation de la réunion serait assurée par l’agent Ira, qui avait déjà pris contact avec mon agent de liaison.
Grot était le pseudonyme du commandant en chef de l’Armée de l’intérieur cxxxv ; Rawicz celui du délégué en chef du gouvernement cxxxvi .
Le lendemain, mon agent de liaison amena Ira. C’était une femme grande et solidement bâtie, à la démarche militaire et aux manières d’adjudant-chef. Sans même me saluer elle débita :
— Demain matin, à huit heures précises, vous sortez. Vous rencontrez en bas votre agent de liaison avec une autre personne. Cette personne vous conduira à l’endroit convenu. Vos pièces d’identité doivent être parfaitement en ordre. Aucun autre document compromettant ! Le commandant en chef est déjà suffisamment exposé comme cela…
Je la trouvai fort désagréable et j’ironisai :
— Je vous remercie pour ce cours. Jamais je n’y aurais pensé tout seul.
Elle ne m’a même pas regardé et poursuivit :
— J’attendrai à l’endroit où vous serez amené par l’agent de liaison. Vous serez constamment surveillé dès votre sortie. Si nous sommes assurés que vous n’êtes pas filé, je vous emmènerai au lieu de rencontre. Compris ?
— Parfaitement compris. Peut-être avez-vous pour moi une nouvelle biographie ?
— C’est tout à fait inutile ! répliqua-t-elle et elle sortit.
Le lendemain, à 8 heures, mon agent de liaison m’attendait à un coin de rue, non loin de ma maison, avec une femme d’un certain âge. Elle me présenta à cette dernière et me quitta. J’accompagnai cette femme qui était agréable et intelligente à Zoliborz, en changeant deux fois de tramway, jusqu’à un grand immeuble moderne. Nous montâmes cinq étages et sonnâmes, suivant le signal convenu qui était simple : un son court, un son prolongé. La porte nous fut ouverte par l’agent Ira, qui nous introduisit dans un appartement très féminin. Après un bref coup de téléphone, elle daigna me regarder :
— Prêt ? lança-t-elle.
J’inclinai la tête.
— Alors, en avant ! Je marche devant. Vous, environ dix pas derrière moi. Si j’ai un problème, vous disparaissez et vous m’ignorez. C’est clair ?
Nous ressortîmes. Ira marchait devant, sans faire du tout attention à moi, et je dus allonger le pas pour ne pas la perdre. Enfin elle s’arrêta devant une église et y entra. J’y pénétrai cinq minutes après elle. L’église était presque déserte. Ira était assise dans la troisième rangée : elle se leva au bout de quelques minutes, et passant devant moi sans me regarder, se dirigea vers le fond de l’église, ouvrit une porte et disparut. Je la suivis. La porte donnait sur un long corridor humide qui conduisait dans la cour d’une maison privée. Je pénétrai dans la maison sur les talons d’Ira. Nous gravîmes deux étages. Elle frappa à une porte. Un homme jeune, de taille moyenne, nous ouvrit. Il était bien bâti et avait une physionomie énergique.
— Vous avez amené Witold ? demanda-t-il.
— Oui, c’est lui, dit-elle.
— Avez-vous été inquiétés ?
— Non, répondit-elle, et elle ajouta d’un ton sec : mais nous aurions pu l’être. Vous auriez dû changer le lieu de rendez-vous. À cette époque de l’année, il y a trop peu de monde dans l’église. On attire l’attention en sortant par la porte latérale. Et en plus ce mendiant ! Il était rasé de frais ! Qui a choisi un tel crétin comme guetteur ? trop d’amateurisme !
Son débit était celui d’une mitraillette. Le jeune homme baissa la tête. Il semblait ennuyé :
— Nous avons déjà envisagé d’aller ailleurs.
Ira inclina la tête en signe d’au revoir et sortit. Le jeune homme poussa un soupir de soulagement.
— Elle est plutôt dure, n’est-ce pas ?
— Elle ne saurait l’être davantage, ai-je acquiescé. Où allons-nous
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