Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
chez elle après l’examen. Juste à ce moment, le professeur se réveilla et Zosia devint pâle comme un linge. Le professeur s’empara du billet, me jeta un regard de reproche, et lut le message à haute voix. Je m’éclipsai tout rouge et tout confus.
Quand Zosia rentra le soir, je lui demandai quel avait été le sujet de sa composition.
— L’indépendance dans la littérature romantique polonaise, me répondit-elle avec enthousiasme. J’ai écrit seize pages et j’aurais pu en écrire davantage…
Je ris de bon cœur à cette réplique. Les sujets n’avaient pas changé. De mon temps, on donnait déjà les mêmes… Mais ils prenaient maintenant une signification entièrement nouvelle.
Zosia avait passé un excellent examen. Le diplôme qu’elle reçut était simplement une carte d’invitation portant le pseudonyme du président de jury. Au revers étaient écrites quelques lignes innocentes : « Merci pour votre charmante visite du 29 septembre 1942. J’en ai été très satisfait. Vous m’avez dit des choses si intéressantes. Bravo. »
Zosia allait garder cette carte comme le plus précieux de ses trésors. Quand la Pologne sera reconstituée après la guerre, des milliers de ces cartes seront échangées contre des diplômes officiels. Lorsque je vis cette carte, le désir me prit de l’ajouter à ma collection de documents secrets. Je la cajolai de mon mieux pour l’amener à me la céder.
— Ma chère Zosia, lui dis-je, après la guerre, je te donnerai dix papiers secrets de la Délégation du gouvernement si tu me donnes cette carte pour ma collection. Tu veux bien ?
— Tu es devenu fou ?! répondit-elle avec indignation.
— Attends, attends. J’y ajouterai plusieurs circulaires du commandant de l’Armée de l’intérieur et plusieurs avis officiels de condamnation à mort d’Allemands par le…
Elle m’interrompit :
— Non seulement tu es devenu fou, mais tu es un vrai salaud !
J’ai constamment été hanté par le grave problème de la jeunesse polonaise qui, privée d’éducation, était devenue la proie des tentations offertes par les nazis. Pour ceux qui étaient comme Tadek et Zosia, je n’avais pas grande inquiétude. La formation qu’ils avaient reçue, leur expérience de la clandestinité les rendaient prématurément forts et conscients de leur responsabilité. Mais la masse de la jeunesse polonaise, de la jeunesse européenne en général, qui est restée sans éducation pendant une longue période, est un sujet d’inquiétude de plus en plus grave. Ce sera un des problèmes cruciaux de l’Europe d’après guerre.
Chapitre XXVIII Une séance du parlement clandestin
Durant toute cette période, grâce à la position stratégique que j’occupais, je fus à même d’observer toute la structure du mouvement clandestin et de me faire une idée de l’ensemble de la situation en Pologne. Le commandant de l’Armée de l’intérieur et le Délégué en chef du gouvernement décidèrent d’utiliser mes connaissances pour une autre tâche.
Ils m’envoyèrent à London rendre visite au gouvernement polonais en exil et établir le contact avec les autorités alliées, particulièrement les Anglais et les Américains. Je reçus l’ordre de leur transmettre tous les renseignements que je possédais sur notre activité et nos expériences. Les préparatifs de mon départ durèrent plusieurs semaines. Il me fallait tout d’abord obtenir des papiers. Il était impossible cette fois de passer par la Hongrie car il eût été trop difficile d’atteindre l’Angleterre par cette route. Le plus simple était d’essayer de gagner l’Espagne ou le Portugal via la France et si possible avec des papiers en règle.
Il n’était pas très difficile de se procurer des pièces d’identité. Je me débrouillai moi-même. De longues années de travail clandestin m’avaient appris à compter sur moi plutôt que sur les autres et j’établis un plan qui me permettait d’utiliser la présence d’ouvriers étrangers, notamment français, en Pologne. Rien qu’à Warszawa, plus de deux mille Français travaillaient pour les Allemands. C’était le résultat de la politique de collaboration du gouvernement français qui « prêtait » très volontiers au III e Reich ses forces de travail. C’étaient des ingénieurs, des techniciens et aussi de simples ouvriers. Je connaissais un de ces techniciens, nommé Paul Tienpont ; je l’avais rencontré par
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