Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
mais je ne le vois pas de mes propres yeux. Je cours ici et là sans avoir la moindre idée de ce qui se passe. Je voudrais travailler dans un endroit où je pourrais leur faire du tort directement et voir les résultats, comprenez-vous ?
— Bien sûr, Tadek, dis-je en souriant. Je vais voir ce que je peux faire pour toi.
Je parlai de lui à mes chefs. Il fut affecté à ce que nous appelions une « école d’aspirants ». On y entraînait les jeunes gens, filles et garçons, à la lutte de la Résistance. On les initiait au combat de rue, au sabotage, aux opérations de diversion. Ils s’y familiarisaient avec le maniement des armes, des engins explosifs, pénétraient la psychologie de la terreur, de la direction des masses, et les méthodes destinées à affaiblir le moral des Allemands.
Après une période préliminaire d’environ cinq mois, les plus capables allaient terminer leur apprentissage avec les détachements de partisans dans les forêts, les montagnes et les marais. Beaucoup de remarquables professionnels de la conspiration sortirent de ces écoles et nous rendirent d’immenses services cxxxi .
Au début de la période d’entraînement, ni l’élève ni ses parents n’étaient informés du but réel de cette éducation. Officiellement, ces classes secrètes, où l’on traitait aussi de sujets classiques, avaient pour but de soustraire les jeunes gens à la campagne de démoralisation des nazis. Il nous déplaisait de faire montre de défiance, mais c’était nécessaire, car un grand nombre d’élèves étaient exclus rapidement.
En temps ordinaire, jamais un garçon comme Tadek n’aurait été accepté, car les écoles exigeaient un très haut niveau d’aptitudes physiques et morales. Mais mon intervention et ses propres exploits en tant qu’agent de liaison emportèrent son admission.
À la même époque, il devint membre d’une organisation appelée « Les Petits Loups », qui convenait parfaitement à ses talents. Cette association de jeunes gens, dirigée par des « experts », avait pour but de harceler les nazis, de les tracasser, d’agir sur leurs nerfs d’une façon ou d’une autre.
Les membres de cette organisation étaient, pour une large part, les auteurs des milliers d’inscriptions qui devinrent l’ornement le plus commun de Warszawa, et qui refleurissaient chaque matin. Ils traçaient des formules telles que « la Pologne lutte », ou « Nous vengerons Oswiecim » ou « Hitler Kaputt » ou « SS chien enragé », avec de la peinture indélébile sur les murs, les tramways, les voitures des Allemands, sur leurs lieux de résidence, et très souvent sur le dos des Allemands eux-mêmes. Les autos allemandes avaient perpétuellement leurs pneus crevés car les rues étaient jonchées systématiquement de morceaux de verre, de bouts de fil de fer barbelé et de kilogrammes de clous qu’ils répandaient sur la chaussée.
Ils couvraient également la ville de caricatures et d’écriteaux qui étaient une source constante d’amusement pour la population de Warszawa. L’implacable et diabolique petite « meute » fit beaucoup pour soutenir l’atmosphère de mépris qui entourait les Allemands et pour alimenter l’esprit de résistance. Lorsqu’à l’automne 1942, les autorités du Generalgouvernement réquisitionnèrent toutes les fourrures et les lainages de Pologne pour le front de l’Est, les « Petits Loups » exécutèrent une brillante série de caricatures sur le sujet du jour. Un Allemand décharné et mélancolique était représenté emmailloté dans un manteau d’hermine de forme très féminine, avec un manchon de renard argenté. Au-dessous, il y avait des inscriptions de ce genre : « Maintenant que j’ai bien chaud, mourir pour le Führer sera un plaisir. »
Naturellement, les meilleurs cinémas, cafés et hôtels de Warszawa étaient réservés aux Allemands. Aussi l’inscription la plus courante en Pologne devint : « Réservé aux Allemands ». Les « Petits Loups » en volèrent un grand nombre et préparèrent quantité de duplicatas. Un matin, on les trouva suspendus à des centaines d’arbres et de réverbères. Comme c’était la coutume des Allemands de pendre leurs victimes à ces potences publiques, l’inscription des écriteaux prenait pour eux un sens spécial.
Les Allemands avaient détruit tous les monuments qui commémoraient des héros polonais ou des événements patriotiques. D’un commun
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