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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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le choix.
    Nous décidâmes donc de faire l’essai. Mon guide prit congé de nous pendant la nuit et nous partîmes à l’aube le jour suivant. Le vieil homme marchait en tête avec confiance et il ne se retourna pas jusqu’à ce que nous fussions en vue de la gare. Alors, il nous attendit sous un arbre, prit notre argent pour aller chercher nos billets pour Barcelone et revint sans incident avec les précieux billets. Il fallait essayer d’obtenir des places dans la voiture qui se trouvait derrière le wagon à charbon. Nous suivîmes ses instructions : la voiture où nous étions montés était vide, si l’on en exceptait un individu avec un panier qui paraissait dormir dans un coin et deux vieilles femmes très absorbées par un échange animé de commérages. Nous n’étions pas assis depuis longtemps que le contrôleur dont dépendait notre sort entra dans le wagon. Il regarda les billets des autres voyageurs et visiblement nous ignora. Tout allait bien puisqu’il nous avait reconnus, semblait-il.
    Quelques stations plus loin, les trois voyageurs descendirent. Le contrôleur revint dans notre wagon et s’approcha de nous :
    — Billets ? demanda-t-il.
    Nous les sortîmes lentement.
    Il les regarda soigneusement puis, sur un ton de bonne surprise :
    — Barcelone ? Vous allez à Barcelone ?
    Un peu étonnés, nous hochions la tête.
    — Oui, nous allons à Barcelone.
    — Bon ! dit-il, avec un large sourire. D’où venez-vous ? France ? Belgique ? Allemagne ?
    — France, dirent mes compagnons.
    — Pologne, répliquai-je.
    Le contrôleur secoua violemment la tête et nous accabla en espagnol d’un flot inintelligible de paroles. Il termina par le mot « Canada ». Nous le regardions avec le plus grand embarras. Désappointé, il hocha la tête et répéta lentement :
    — D’où venez-vous ?
    — France.
    — Pologne.
    — Non, non, non, non. Canada ! criait-il. Vous Canada ! Vous Canada ! Vous Canada ! et il nous désignait successivement.
    Puis il nous regarda comme s’il nous défiait de ne pas le comprendre. J’étais sur le point de réaffirmer mon origine polonaise une fois de plus lorsque l’officier français me retint, en posant la main sur mon bras.
    — Je comprends, fit-il, il veut dire que nous devons tous prétendre être canadiens. Si un Canadien est arrêté en Espagne, les autorités britanniques peuvent obtenir son extradition.
    Il se tourna vers le contrôleur et, se frappant la poitrine :
    — Canada, dit-il triomphalement.
    — Canada, dit son fils.
    — Canada, dis-je faiblement.
    — Bravo ! Le contrôleur rayonnait.
    Il nous fit signe de le suivre et nous mena à la plate-forme à charbon. Il ouvrit la porte. Six jeunes gens échevelés, couverts de crasse et de poussière de charbon, nous regardèrent avec curiosité.
    — Canada, grimaçait le contrôleur. Tous Canada.
    Nous montâmes sur la plate-forme, il partit et ferma la porte derrière lui. Nous étions à sa merci.
    Dans le wagon, les six jeunes gens considéraient leurs nouveaux compagnons avec circonspection.
    L’officier qui était avec moi leur demanda s’ils étaient français. Ils nièrent collectivement.
    — Nous sommes canadiens.
    — De quel endroit du Canada venez-vous ? leur demandai-je en anglais.
    Ils me regardèrent consternés.
    — Parlez-vous anglais ? continuai-je.
    — Yes, dit l’un d’eux mollement.
    — Si tu parles anglais, alors je suis professeur d’hindoustani, répliquai-je en français.
    La glace était rompue. Nous éclatâmes de rire et nous échangeâmes des confidences. Comme mes compagnons, c’étaient des Français qui rejoignaient de Gaulle. Déjà nous partagions nos provisions, mangions, devenions des amis, debout, serrés les uns contre les autres sur l’étroite plate-forme. Le voyage fut long et poussiéreux. Souvent nous nous prenions à discuter de la confiance qu’on pouvait avoir dans le contrôleur. Il lui était possible, s’il le voulait, de nous livrer à la police aussi aisément que si nous avions été pieds et poings liés.
    Cet important personnage, finalement, fit son apparition.
    — Au prochain arrêt, filez, dit-il, c’est la dernière gare avant Barcelone.
    Il disparut sans fermer la porte à clef, avec un geste d’adieu. Le train ralentissait. Nous avons sauté de la plate-forme et nous sommes égaillés dans la nature. Je savais, et la plupart de mes compagnons semblaient également le savoir, que

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