Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
l’autre et je continuai avec mon nouveau guide qui m’emmena par une route détournée à travers les contreforts des Pyrénées.
Le passage des Pyrénées fut merveilleux. Le pays était plus sauvage que tout ce que j’avais vu jusque-là, mais il était riche de frondaisons vertes et de perspectives extraordinaires sur la montagne. Le guide était un homme prudent et très réfléchi. Nous ne pouvions pas avoir de conversation, car il ne connaissait que quelques mots de français, et j’en savais encore moins en espagnol. Le troisième jour, à l’abri dans une grotte, nous décidâmes qu’il irait voir un ami dans un village voisin. Celui-ci l’aiderait à localiser les différents postes de police.
Il revint avec une tristesse qu’il ne cachait pas. Le frère de son ami lui avait appris son arrestation. Il devenait impossible de prendre le train comme il le projetait. Après mûre réflexion, il décida de passer la nuit où nous étions. Le lendemain matin, nous irions dans un village pour tâcher d’avoir une bicyclette ou une voiture. Tandis que nous conversions, assis dans l’ombre, deux silhouettes qui s’avançaient vers nous se dessinèrent devant nos yeux. Il était certain que nous avions été vus. Le guide me frappa l’épaule, mais il était trop tard pour nous cacher. Comme elles s’approchaient, nous vîmes que c’étaient des civils, apparemment sans armes et portant des sacs alpins. Le guide les héla :
— Venez-vous de France ?
Ils étaient plus effrayés que nous. Le plus âgé nous répondit d’une voix tremblante. Nous les invitâmes à venir dans notre grotte et ils s’apaisèrent. C’était un officier français et son fils, âgé de dix-huit à dix-neuf ans. Ils s’échappaient pour rejoindre de Gaulle. Quelques instants de conversation suffirent à faire régner l’harmonie et la sympathie mutuelle à l’intérieur de notre groupe. Ils étaient dans de pires conditions que moi puisqu’ils tentaient le passage sans guide. Je leur démontrai les difficultés et les risques de l’entreprise et les invitai à se joindre à nous. Ils acceptèrent avec reconnaissance.
Dans la matinée, nous commençâmes la descente de l’autre versant. Les Français marchaient derrière le guide et moi à une distance d’environ vingt mètres. Comme le sentier coupait à travers un bouquet d’arbres, nous tressaillîmes en nous entendant apostropher. En cherchant un peu, nous découvrîmes un vieil Espagnol, assis avec sa fille dans une petite clairière. Une conversation animée s’ensuivit entre lui et mon guide. « Barcelone » entendis-je dire au guide à l’un des moments de leur conversation. D’après quelques imprécations vigoureuses, je conclus que le vieillard était un violent antifasciste. Il nous convia à nous abriter chez lui, et bien entendu nous acceptâmes.
Le vieil homme, un Catalan français, se montra le plus hospitalier des hôtes. Il nous combla du contenu de son frugal garde-manger et refusa énergiquement de nous laisser faire quand nous voulûmes le payer. Nous pûmes nous laver, nous raser, nettoyer nos vêtements et passer une agréable soirée dans la salle commune. Le vieillard nous informa qu’il avait des plans pour nous.
— Vos ennuis sont finis, nous dit-il, le guide servant d’interprète du mieux qu’il pouvait. Je vais m’occuper de vous conduire à Barcelone. Dormez bien.
Le lendemain matin, il partit pour le village et en revint vers midi. Il rayonnait et il agitait les mains d’un geste rassurant.
— On se charge de tout, dit-il. Vous n’avez pas à vous tracasser.
Il exposa son plan. Nous irions à la gare prendre les billets de chemin de fer pour Barcelone, puis nous monterions dans le train. Une fois en route, le contrôleur prendrait soin de nous. Ce contrôleur serait prévenu par le mécanicien qui était un ami intime de notre vieux Catalan. La seule chose que nous ayons à faire était d’être prudents, d’obéir aux instructions et ensuite de nous engager dans l’armée pour tuer tous les fascistes que nous pourrions trouver.
Nous le remerciâmes non sans éprouver quelques doutes et tînmes conseil. Son plan ne me disait rien. Il y avait là-dedans trop d’amis et d’amis des amis. Les Français pensaient comme moi. Le guide convint qu’il y avait en effet quelques motifs de doutes mais que, raisonnablement, il y avait une chance de succès. En outre, il nous fit remarquer que nous n’avions guère
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