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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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dans ce genre d’affaire le mieux est de faire cavalier seul. Quand, du coin de l’œil, j’apercevais l’un d’entre eux venir vers moi, je prenais en courant une autre direction. Après avoir moitié couru, moitié marché pendant une demi-heure, je ralentis pour rassembler mes esprits. J’étais sur un petit chemin coupant à travers les arbres et parallèle à la voie. Le soir tombait et au loin j’apercevais le halo lumineux d’une grande ville, Barcelone sans aucun doute. Il me fallut plusieurs heures de marche pour y parvenir, et j’étais fatigué et affamé quand j’entrai dans les faubourgs. Gaiement, sans réfléchir, je pénétrai dans un bistrot d’un quartier ouvrier. Je passai devant deux hommes assis à une table du devant et gagnai le fond. En me retournant, je m’aperçus que c’étaient des gendarmes. J’eus une sueur froide, car ils paraissaient me regarder soupçonneusement.
    Un journal traînait près de moi. Je fis semblant de m’absorber dans sa lecture, quoique ne pouvant en comprendre un mot. Le garçon vint et attendit par-dessus mon épaule que je commande quelque chose. Une seule parole et l’on s’apercevrait que je n’étais pas espagnol et ce serait des questions désastreuses de la part des gendarmes. Je feignis la distraction et ne dis rien. Par bonheur le garçon murmura un nom sur un ton interrogateur. Je fis signe que c’était ce que je voulais. Il ajouta quelque chose d’autre. Je lui adressai à nouveau un signe affirmatif.
    Il revint en m’apportant du café et du gâteau. Je mordis dans le gâteau et avalai d’un trait le café en affectant d’être absorbé par les nouvelles. Puis je regardai ma montre-bracelet de l’air ennuyé de quelqu’un qui est en retard. Je me levai, payai et sortis. Lorsque la porte claqua derrière moi, je poussai un profond soupir et je me jurai : « Plus de bistrot ! »
    J’ai marché jusque bien après l’aube, espérant trouver par hasard ma rue, n’étant pas très désireux de demander mon chemin au premier venu. Quand les gens sortirent de chez eux pour travailler, je me décidai à courir ma chance. Je m’adressai à un ouvrier âgé, en lui nommant la rue où se trouvait le point de contact qu’on m’avait donné à Perpignan. Il me demanda quelle langue je parlais. Après que je lui eus répondu, il me donna des explications par gestes et avec quelques mots de français. Pendant cette guerre, j’ai souvent observé que les gens simples étaient plus fins et plus habiles à deviner la vérité que les « spécialistes ». Quand mon guide eut terminé ses explications, il me regarda astucieusement et me murmura avec un sourire significatif :
    — De Gaulle, eh ?
    — De Gaulle, répondis-je.
    — Bien, bonne chance !
    — Merci, monsieur.
    Il me fit un signe d’adieu. Je souris et continuai ma route. Ses indications se révélèrent exactes et je trouvai très facilement la boucherie où l’on m’avait dit d’aller. Les volets étaient fermés et je savais qu’elle n’ouvrait pas avant midi. Je frappai.
    J’entendis derrière le volet une voix douce à l’accent français.
    — Qui est là ?
    Je donnai le mot de passe.
    — Je viens de Perpignan, de la part de Fernando. Les braves gens se retrouvent toujours.
    La porte de la boutique s’ouvrit et un petit homme aux joues roses, pareil à un gnome, parut devant moi.
    — Entrez, entrez, monsieur, murmura-t-il doucement.
    À l’intérieur, il me fit asseoir devant une table en chêne, brillante et remarquablement travaillée. Je me sentais harassé, affamé, détendu et heureux. J’étais à Barcelone dans une maison amie. Il m’apporta une bouteille de vin et un plat espagnol chaud et épicé que je dévorai. Il ne paraissait pas le moins du monde excité et apparemment il était tout à fait habitué aux clients de mon espèce. Il ne posa pas une question sur mon voyage, mais parla de la guerre et de la politique. Il se lança dans une violente diatribe contre les fascistes. Je lui demandai si beaucoup de gens du pays partageaient ses opinions. Il me répondit que tous les partageaient et que le seul appui que les fascistes trouvaient venait de la police et de l’armée.
    Dans l’après-midi, après avoir dormi un moment sur une banquette dans l’arrière-boutique et m’être rendu aussi présentable que possible, je m’acheminai vers le consulat d’une nation amie clxvi . Il était plein de clients, pour la plupart des

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