Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
continuité de l’État polonais, une situation paradoxale s’instaura, la perte de l’indépendance ramena les règles démocratiques. Il s’avéra que, dans la clandestinité, les partis politiques avaient plus de possibilités et de liberté d’action qu’au temps de la République indépendante des années 1935-1939.
Ces quatre partis politiques représentaient la grande majorité de la nation polonaise dans la Résistance. Il y avait en outre d’autres organisations, depuis l’extrême droite jusqu’à l’extrême gauche, y compris les communistes. Il convient de souligner que la plupart de ces organisations laissées hors de la coalition n’ont commencé à se développer que dans l’atmosphère de liberté politique de la clandestinité. Compte tenu des conditions spécifiques de l’occupation, il était difficile d’évaluer leur influence réelle sur la société polonaise. La majorité n’avait qu’une implantation locale et limitée, mais toutes éditaient une presse clandestine.
Quand j’arrivai à Warszawa, j’y trouvai le même état d’esprit qu’à Krakow. La consolidation de la Résistance avait rapidement progressé et le plus grand nombre des habitants de la capitale, même ceux qui occupaient les fonctions les plus élevées dans l’organisation, croyaient à l’invulnérabilité de la France et de l’Angleterre. Ils étaient convaincus que l’armée française n’avait permis à la Wehrmacht de pénétrer en France que pour mieux l’encercler et la détruire. Quand je leur disais qu’en France il n’était question que de tenir la ligne Maginot, je me faisais traiter d’alarmiste. Je passai environ deux semaines à Warszawa, puis retournai à Krakow pour y avoir de nouveaux entretiens avant mon deuxième voyage en France. Ma tâche principale était liée à la création de la fonction spéciale de délégué du gouvernement au sein de la Résistance. Elle reposait sur l’acceptation de deux principes :
1° quelle que soit la tournure que prendrait la guerre, les Polonais n’accepteraient jamais de collaborer avec les Allemands en aucune manière. Les « Quislings » devaient être éliminés à tout prix lxxii .
2° l’État polonais serait perpétué par l’administration clandestine, en étroite relation avec le gouvernement en exil.
Le premier de ces deux principes était conforté par l’attitude même du peuple polonais à l’égard de l’occupant. Les Polonais ne reconnurent jamais l’occupation allemande ; la Pologne, à la différence des autres pays occupés, n’eut jamais de Quislings.
Quant au second, une fois admis le principe de la continuité de l’État, il fallait accepter la désignation de délégués du gouvernement. Celui-ci, de toute évidence, ne pouvait résider en Pologne où il aurait été obligé de rester secret et anonyme, par conséquent sans contact avec les Alliés et où, de plus, il aurait été constamment en danger.
J’avais assisté auparavant aux innombrables discussions sur la localisation du gouvernement, qui a finalement été tranchée.
La tradition héritée des insurrections polonaises de 1830 et 1863 contre la Russie tsariste voulait que le gouvernement secret soit au cœur même du mouvement clandestin, ce qui impliquait nécessairement qu’il demeure secret et anonyme. Pour l’heure cela aurait signifié que la Pologne serait coupée de ses alliés et sans moyen de poursuivre sa politique étrangère. Et si un tel gouvernement venait à être découvert, il deviendrait impossible d’en désigner un nouveau. Le facteur déterminant de la décision de laisser le gouvernement en exil pendant toute la durée de la guerre fut le constat que la continuité de la Résistance ne pouvait être assurée techniquement que si ses responsables étaient désignés par un centre situé hors de la zone dangereuse. Ce système assurerait la continuité de l’activité clandestine malgré tous les coups que la Gestapo pourrait lui porter. Quel que fût le rang ou l’importance de ceux qui tomberaient en Pologne, ils pourraient être remplacés selon une procédure de désignation légale.
Il fut décidé également de limiter les prérogatives du gouvernement à l’agrément des personnes préalablement choisies par les responsables de la Résistance. Le système était réciproque et flexible…
La plus grande difficulté à ce stade du développement résidait dans le fait que les partis parvenus au
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