Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

pouvoir dans la Résistance n’avaient pas participé au gouvernement d’avant guerre et ne s’étaient pas présentés aux dernières élections législatives. Il était ainsi impossible de déterminer leur degré de popularité et leur influence réelle dans le pays.
    Il était évident que la coalition des quatre partis était approuvée par la grande majorité du peuple polonais, mais on ne pouvait attribuer à chacun ce qui lui revenait.
    D’autre part, ce qui compliquait encore plus la situation, c’est que les quatre partis désiraient conserver leur indépendance. En raison de leur expérience des années d’avant guerre, ils se méfiaient de l’administration centrale et ne voulaient pas que le gouvernement interférât dans leurs affaires. On avait assuré à chaque parti que l’administration créée par la Résistance ne serait en rien opposée à ses intérêts ni à ses principes. Il était d’importance primordiale que les représentants de la Résistance à Krakow et à Warszawa se mettent d’accord sur la personne à désigner comme délégué en chef du gouvernement, lequel aurait des pouvoirs très étendus. Enfin, malgré les discussions, controverses et complications diverses, un accord finit par être trouvé sur la personne du délégué général et des délégués provinciaux, représentant les quatre partis, selon leur importance.
    Les partis ont également décidé de créer un Parlement clandestin. Outre l’aspect de représentation pure, il aurait également une fonction de contrôle : sur la politique des cadres et sur les finances de la Résistance. On est parvenu à définir une règle de participation des partis aux différentes structures de l’administration clandestine.
    En partant cette fois en France, j’avais pour mission de rendre compte du processus complexe de mise en place de l’État clandestin et de ses mécanismes ; ensuite du déroulement des discussions au sein de la coalition et des compromis acquis, enfin des conditions que le gouvernement en exil en France devait s’engager à remplir en échange du soutien apporté à Sikorski par la Résistance.
    De plus, on me confia la mission que je considérais comme la plus prestigieuse : j’étais le dépositaire assermenté de tous les plans importants, des secrets et détails relatifs aux affaires internes de la Résistance. Et plus encore, chacun des partis me fit prêter serment en tant que son propre courrier mandaté auprès de ses propres représentants dans le cabinet Sikorski. J’ai juré de ne transmettre ces données qu’à qui de droit, de ne les utiliser contre aucun parti, et de ne pas m’en servir pour ma carrière. Je jouais en somme le rôle de confesseur pour chacun des partis, et plus exactement d’un véritable « canal » entre Warszawa et Paris lxxiii .
    J’étais rempli de fierté.

Chapitre XII La chute
    Je passai environ quinze jours à Warszawa, puis je reçus l’ordre de repartir pour la France par le même chemin que la première fois, en m’arrêtant à Krakow. J’étais accompagné d’un garçon de dix-sept ans, fils d’un médecin connu de la capitale. Ses parents trouvaient sûr l’itinéraire que j’empruntais et me supplièrent de l’emmener en France afin qu’il pût s’engager dans l’armée polonaise. Je restai trois jours à Krakow où je conférai avec les autorités de la Résistance et je me dirigeai vers la frontière avec mon jeune compagnon. J’étais porteur d’un microfilm sur lequel était photographié un message de trente-huit pages contenant les plans et les suggestions pour l’organisation de la Résistance. Le film n’était pas développé et pouvait être rendu inutilisable en un instant, si c’était nécessaire, par une simple exposition à la lumière. Pendant le trajet vers le point de rencontre avec mon guide, je ne pouvais me débarrasser de mauvais pressentiments. Le chemin que j’allais emprunter m’était familier et mon expérience serait renforcée par celle d’un guide d’excellente réputation. Cependant, il y avait quelque chose d’inquiétant dans l’air. Mes supérieurs, à Krakow, m’avaient prodigué des recommandations d’un air un peu trop anxieux, un peu trop soucieux de ma sécurité. Assis dans le train qui roulait vers la frontière, je ne pouvais m’empêcher de regarder mon jeune protégé en méditant sur ce qui nous attendait.
    Arrivé à Zakopane, il me restait quatre kilomètres à faire à