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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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l’autre guide n’eût été pris par la Gestapo. Dans ce cas, la route était maintenant extrêmement périlleuse. Son frère lui avait recommandé de ne pas m’importuner, mais elle avait pensé qu’il était de son devoir d’avertir le jeune homme et de l’empêcher, si possible, d’entreprendre ce voyage. Elle lui avait dit de rester au chalet et qu’avant peu il trouverait une occasion plus sûre de franchir la frontière.
    Je pris immédiatement une décision. Je sortis et rejoignis le père et la fille qui parlaient près du puits avec agitation. Ils me confirmèrent ce que m’avait rapporté le jeune homme. La jeune fille ajouta que ce serait criminel d’emmener le garçon dans ces conditions, puisque non seulement il serait en danger, mais qu’il nous gênerait en cas d’accident. Je lui répondis que nous discuterions de cela avec son frère dès son retour.
    Mon guide rentra peu de temps après ; il avait l’air de meilleure humeur. Je le confrontai immédiatement aux faits, en présence des trois autres. J’ajoutai qu’il me paraissait préférable, étant donné les circonstances, de retarder notre voyage.
    À ce moment, tous ses doutes disparurent, et il redevint purement et simplement l’agent loyal qui avait reçu l’ordre de me faire passer la frontière et dont le devoir était d’accomplir cet ordre, quel que fût le danger.
    — Retarder le voyage ? gronda-t-il. Êtes-vous fou ? Parce qu’un couple de jeunes imbéciles bavardent à tort et à travers, vous supposez que je vais changer nos plans ?
    Et comme sa sœur commençait à sangloter, il la fusilla du regard :
    — Oui, une imbécile, voilà ce que tu es.
    Bien que cette dureté m’irritât, je me sentais plein de sympathie pour le guide. De toute évidence, il était déchiré par un conflit entre le sens de sa responsabilité et ses appréhensions. Il était mal à l’aise, perdu.
    — Pourtant, insistai-je, si ce qu’elle a dit est vrai, nous devrions être prudents.
    — Prudents ? répéta-t-il avec dédain. Ce que nous avons de mieux à faire, c’est d’aller dormir. Rappelez-vous que, depuis le moment où vous m’avez rencontré, vous n’avez plus qu’à m’obéir. Je suis responsable de toute l’affaire et je ne vois pas la nécessité de discuter plus longtemps ; cela ne sert qu’à nous énerver.
    — Il y a pourtant des choses à discuter, répliquai-je en regardant le jeune homme qui était assis, presque écrasé par l’émotion.
    — En ce qui me concerne, il n’y a plus rien à discuter, dit-il avec colère.
    Puis, saisissant le sens de mon regard, il ajouta :
    — Mes ordres ne concernent pas ce garçon ; par conséquent, il restera ici. Quant à vous, allez vous reposer. Il pleut, nous partirons dans trois heures. C’est plus prudent de « voyager » par la pluie, et je crois qu’il va pleuvoir pendant plusieurs jours.
    J’avais des remords en me séparant du jeune homme, car je m’étais attaché à lui et je regrettai qu’il ne puisse réaliser son rêve de rejoindre l’armée. De son côté, il se montrait désireux de continuer le voyage et il semblait piqué qu’on ait pu mettre en doute son courage et son endurance. Après une conversation animée, je le persuadai qu’il valait mieux nous séparer. Je sommeillai une heure ou deux, puis le guide me réveilla.
    — Debout, dit-il, il faut partir.
    Je m’habillai en hâte et jetai mon sac sur mon dos. Dehors, il faisait un noir d’encre et la pluie nous frappait au visage. J’avais encore les yeux lourds de sommeil et je suivais le guide machinalement. La terre n’était plus qu’une mer de boue qui collait aux souliers, rendant chaque enjambée laborieuse. Contrairement à mon compagnon, qui avançait d’un pas sûr le long du chemin tortueux et inégal, je trébuchais souvent, perdais l’équilibre et à chaque instant je tombais sur lui. Chaque fois que cela se produisait, je m’attendais à l’entendre jurer, mais il se contentait de rire de ma maladresse. Il était très gai, marchait en fredonnant et se retournait de temps à autre vers moi pour bénir la pluie qui relâcherait la vigilance des gardes à la frontière.
    — Prie pour que ce déluge continue, cria-t-il. Quand il pleut les gardes-frontières restent à l’abri…
    Ainsi qu’il l’avait prévu, le déluge avait écarté les soldats de leurs postes et nous traversâmes la frontière avec la Slovaquie sans incident.
    La pluie

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