Monestarium
senti, parfois, que vous abritiez une
terrible douleur… Rien de comparable à cette folle de Balencourt. Je veux dire,
une crucifiante et constante douleur…
Hermione se tendit et demeura coite.
— … Cela me fait espérer, non
pas votre compréhension, car je doute que vous admettiez une conduite
répréhensible, mais à tout le moins votre compassion et votre aide.
— Si je puis vous les offrir en
honneur, elles vous sont acquises, ma sœur.
— Je…, commença Bernadine en
luttant contre un nouvel afflux de larmes. J’ai accepté de rapporter à
Hucdeline de Valézan le moindre des faits et gestes de notre mère, sa
correspondance, l’identité de ses visiteurs. J’ai même poussé l’ignominie
jusqu’à écouter à sa porte et à lire son courrier.
— Juste ciel ! murmura
Hermione. Quelle… déchéance…
— Je sais. Il y a pis. Bien
pis.
— Vous m’effrayez.
— Votre effroi est justifié. Je
suis complice de l’enherbement d’Aliénor de Ludain.
— Quoi ! Hucdeline serait
la meurtrière ?
— C’est l’affreux doute qui me
ronge. Si sa culpabilité est avérée, elle m’a utilisée. Je ne le lui
pardonnerai jamais, car voyez-vous, en dépit de ses défectuosités de caractère,
j’avais foi en elle.
— De grâce, expliquez-vous… je
ne sais que penser !
— Peu avant cet horrible souper
durant lequel Aliénor s’effondra dans le réfectoire, Hucdeline m’a demandé de
la venir quérir en son bureau au prétexte que notre mère avait besoin de sa
clef afin de récupérer son sceau. Elle a ensuite prétendu s’être rendue en la
bibliothèque.
En pleine incompréhension, Hermione
demanda :
— Reprenez, je vous en supplie.
— Le matin, après tierce,
Hucdeline de Valézan m’est venue trouver. Son plan, du moins celui qu’elle m’a
servi, était simple. Elle voulait approcher Aude de Crémont afin de la tâter
sur une éventuelle charge de grande prieure. Aliénor ne devait rien en savoir
puisque sa fonction de sous-prieure, ainsi que son attachement à Hucdeline,
pouvait lui faire espérer cet office. Hucdeline la jugeait inapte, sans éclat,
et j’étais en accord avec elle. Rendez-vous était pris avec Aude. Il fallait
écarter Aliénor, qui n’eût pas compris qu’Hucdeline se passe de sa compagnie,
ne serait-ce qu’une heure. Je devais donc frapper au bureau de notre actuelle
grande prieure alors qu’elle s’y trouvait avec sa sous-prieure, prétendre que
notre mère mandait sa présence aussitôt. J’ai frappé. J’ai entendu un
remue-ménage de l’autre côté. Lorsque la porte s’est ouverte, l’embarras des
deux femmes m’a surprise. Hucdeline m’a suivie. Je l’ai laissée dans l’ouvroir
de ses logements et suis repartie au palais abbatial. L’affreux soupçon que
j’ai maintenant, c’est qu’Hucdeline a abandonné Aliénor avec les pâtes de
prunes, afin de lui donner le temps de les déguster. Sans avoir à y goûter,
elle-même. Si tel est le cas, elle aura eu le bon sens de les produire devant
notre mère et le comte de Mortagne afin d’écarter tout soupçon d’elle.
— Ah mon Dieu, ah mon
Dieu ! geignit Hermione.
— Je L’ai bafoué et
j’accepterai Sa punition. Peu importe, je la mérite. J’ai besoin de vous,
Hermione. Besoin que vous contiez cette sinistre et lamentable histoire à notre
mère. Par le menu. J’avoue, je n’en ai pas le courage. Il faut qu’elle sache.
Il faut qu’elle se défende. Voyez-vous, ma bonne, ces derniers jours m’ont
décillée, et prouvé que j’étais une vieille imbécile. Hucdeline n’est qu’un
violent courant d’air. Plaisance de Champlois a hérité de la vraie force de
madame de Normilly, de madame de Rotrou avant elle. La force des sages. Notre
abbesse avance à pas comptés, sans jamais perdre sa direction de vue. L’âge ne
fait pas l’excellence. Je m’en veux terriblement de ne pas l’avoir compris.
M’aiderez-vous, chère Hermione ?
Bernadine Voisin serra
convulsivement les mains de l’apothicaire, attendant son verdict avec angoisse.
— Je le ferai, lâcha enfin
l’apothicaire. Je le ferai pour madame Plaisance et pour le souvenir de madame
Catherine, je vous l’avoue non sans brutalité.
— Je sais que je ne mérite
nulle faveur de votre part. Cependant, je vous suis infiniment reconnaissante
de votre secours.
Lorsque Mortagne poussa le battant
de la haute porte double des écuries, le messager, armé de tresses de foin [171]
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