Monestarium
était-elle
fructueuse ?
— Oui-da, monseigneur. Deux
beaux brocards [169] .
— On mange pourtant peu de
viande en ce lieu.
Petit Jean hocha la tête en approbation.
Tenant toujours son bonnet de chasse entre ses mains, il s’interrogeait. Que
voulait le comte ? L’abbesse l’envoyait-elle afin de sonder son
chasseur ? Non. Il ne croirait jamais à une telle duplicité doublée de
lâcheté venant d’elle.
— On en distribue. Ordre de
notre mère. Elle a le cœur plus grand que tous ceux que j’ai croisés jusque-là,
ajouta-t-il avec lenteur.
Il baissa le regard et Mortagne fut
certain qu’il cherchait à dissimuler son émotion.
— Chasseur… Je n’irai pas par
quatre chemins. Sache d’abord que l’abbesse ne m’envoie pas. J’ai droit de
justice et avec sa permission, je l’exerce, voilà tout. Mes soupçons pèsent sur
toi, de lourds soupçons. Je suis presque certain que tu as tué Nicol le Jeune
afin de prendre sa place, agissant ainsi pour plaire à monseigneur de Valézan.
En aurais-tu si peur que tu redouterais de le nommer ?
Petit Jean releva la tête, et une
sorte de sourire étira ses lèvres.
— Peur de Valézan ? Que
nenni. Je n’ai que faire de cette charogne. Ce n’est pas ses oripeaux sacrés
qui empêchent de sentir qu’il pue de l’âme. Il m’avait promis cinquante livres
pour délivrer un message à sa sœur, prendre la place de l’ancien chasseur et
attendre ici ses nouveaux ordres. C’était il y a si longtemps que j’en ai
presque perdu le souvenir.
— Si longtemps ?
— Deux mois. Une éternité. Tant
de choses depuis…, acheva le géant dans un murmure.
— Madame de Champlois m’a conté
que tu lui avais sauvé la vie lors de l’émeute des lépreux. Je te propose donc
un marché, chasseur, dont nul autre que nous n’entendra jamais parler. Une vie
pour une mort. La vie de l’abbesse en échange du trépas de ton… bon cousin
Nicol le Jeune. Nous sommes quittes à ce point. En revanche, si je venais à
penser que tu as assassiné les autres, les moniales, violé l’une d’entre elles,
c’est le gibet.
Petit Jean hocha à nouveau la tête
et rétorqua d’un ton plat :
— J’ai bien vilaine hure
monseigneur, et je ne prétendrai pas que je suis vierge de péchés, tel l’agneau
naissant. Toutefois, j’ai jamais violenté de femmes et encore moins de
religieuses. J’en ai payé pas mal pour le plaisir de chair, et je les ai dupées
comme un repousseur de cheveux, je l’avoue. Mais jamais la force contre une
femme. Que je sois maudit à l’instant si je mens.
Mortagne le fouilla du regard.
Étrangement, il le croyait.
— Que sais-tu qui nous
aiderait ? Que sais-tu qui aiderait madame Plaisance ?
— Pas grand-chose, si ce n’est
que je trouve les scrofuleux bien calmes. Il n’était pas rare qu’ils se foutent
sur la gueule pour des peccadilles. Depuis quelques jours, on dirait une bande
de mignons Jésus. Ils trameraient une vilaine affaire que j’en serais pas
étonné.
— Un nouveau soulèvement ?
Mortagne songea à ce qu’Élise de
Crémont avait confié à Malembert lors de leur entrevue clandestine dans le
passage.
— Hum… Crétin ou très futé,
selon le cas, lâcha le chasseur.
Qu’il ait mis le doigt sur ce qui
préoccupait le comte ne surprit pas celui-ci. Le Ferron était intelligent, ses
réponses le prouvaient. Mortagne résuma :
— Crétin parce qu’ils seront
repris bien vite ou massacrés ?
— Non… Crétin parce qu’ils
savent que vos gens d’armes sont stationnés non loin d’ici.
— Comment cela ?
s’inquiéta Aimery de Mortagne.
— Ben… selon vous, de qui je le
tiens ? De serviteurs laïcs qui colportent la moindre information glanée
ici ou là. Et s’ils me l’ont dit, y’a des chances pour qu’ils aient bavassé
avec d’autres.
Au prix d’un effort, le comte
demanda :
— Où serait le futé de
l’histoire, en ce cas ?
— Si vous additionnez des
lépreux en guerre, des moniales courant dans tous les sens, des serviteurs
armés et des gens d’armes…
— Ça donne un carnage dont le
seul but est…
— Le carnage, monseigneur, et
c’est un ancien soldat qui vous l’affirme. À ce sujet, la Valézan a reçu un
nouveau message il y a peu. Peut-être que son bon frère lui conseillait de se
barricader dans son bureau au premier signe de soulèvement ?
— Cette missive, par quel
intermédiaire ?
— Le messager de l’abbaye.
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