Monestarium
réclusion à vie dans l’une des chambres de
l’infirmerie ?
— Elle y serait traitée avec
égards.
— Il me faut réfléchir. La
décision est trop importante pour que je la prenne à la hâte.
Elles cheminèrent en silence.
Lorsqu’elles ne furent plus qu’à une toise du palais abbatial, Hermione
lâcha :
— Je requiers de vous audience,
ma mère.
— Aussitôt ?
— Aussitôt.
— C’est que… Est-ce si grave
que cela ne puisse attendre ?
— Ce l’est.
— En ce cas…
— Je ne vous crois pas !
cria Plaisance en abattant sa main sur la lourde plaque de chêne. Bernadine ne
m’aurait jamais trahie au profit d’Hucdeline. Je refuse d’accorder crédit à
cette fable.
Piquée au vif, Hermione de Gonvray
rétorqua d’une voix glaciale :
— Pensez ce qu’il vous siéra,
madame. Je me suis engagée, par fidélité envers vous, à vous rapporter les
propos que Bernadine n’osait vous tenir. C’est chose faite.
L’apothicaire se leva et se dirigea
vers la porte du bureau. Plaisance la retint :
— Votre pardon, Hermione. Le
choc que m’ont causé vos révélations est la seule excuse à ma vivacité
déplacée. Comment a-t-elle pu me berner de la sorte ! J’avais placé ma
confiance en elle.
— Je pense véritablement, et
sans souhaiter la décharger de ses méfaits, qu’elle fut elle-même abusée par
notre chère madame de Valézan. Il n’en demeure pas moins qu’Hucdeline nous a
toutes mystifiées. Elle a trompé Aliénor en prétendant qu’elle se rendait dans
votre bureau, et vous et le comte de Mortagne en affirmant qu’elle se trouvait
en la bibliothèque.
— Elle a pourtant visité Aude
de Crémont.
— Je ne le nie pas, ma mère.
Cela étant, elle pouvait faire d’une pierre deux coups : approcher la
nouvelle grande prieure qu’elle se souhaitait tout en poussant la prétendante
malchanceuse, sa bonne amie Aliénor de Ludain, vers le tombeau.
— Hermione, je vous le demande
en amitié… (Plaisance hésita à formuler sa question.) Pensez-vous en votre âme
et conscience qu’Hucdeline de Valézan soit de l’essence des meurtriers ?
Un sourire attristé vint à
l’apothicaire, qui déclara d’une voix sourde :
— Beaucoup d’êtres qui ne sont
pas de l’essence des tueurs peuvent – à la faveur d’une peur, d’une colère,
d’une avidité ou même d’un pur amour – le devenir.
Mortagne, en dépit de son rang,
patienta en bas des marches, le temps qu’elle descende. Hermione ne le salua
que d’une brève inclinaison de tête, à laquelle il répondit de même en songeant
que l’apothicaire était à n’en point douter une femme de caractère trempé, mais
de peu de diplomatie. Une fâcheuse ressemblance avec cette Alexia de Nilanay à
laquelle il avait souvent, beaucoup trop, songé depuis leur houleuse entrevue.
Il allait lui falloir s’entretenir du sort de la jeune femme avec l’abbesse.
Les longues oreilles d’Étienne Malembert avaient rempli leur office, une fois
encore. Il avait appris qu’Alexia avait reçu de Plaisance de Champlois ordre de
quitter au plus tôt l’enceinte des Clairets – libre ou entravée selon le
jugement du comte de Mortagne –, et ceci dès qu’il aurait rendu son verdict la
concernant. Toutefois, il y avait pis, et bien plus urgent. La nouvelle que
Malembert venait de lui porter mettait terme à toutes les hésitations qui le
retenaient encore.
— Vous semblez atterrée,
madame, lança-t-il en s’asseyant en face de l’abbesse.
— Anéantie serait plus juste.
— Fichtre !
Elle lui raconta en détail sa
discussion avec Hermione de Gonvray. La placidité de son interlocuteur troubla
la jeune fille, qui s’enquit :
— Mes révélations ne semblent
pas vous surprendre.
— Pas vraiment, en effet.
— Vous doutiez-vous de
l’impardonnable fausseté de Bernadine ?
— Pas en ces termes. Cela
étant, elle s’imbrique à merveille.
— Que pensez-vous de
l’éventuelle culpabilité d’Hucdeline dans le meurtre d’Aliénor ?
Un sourire taquin étira les lèvres
de Mortagne.
— J’adorerais vous affirmer
qu’elle me convainc.
Un peu de gaîté revint à l’abbesse,
qui protesta pour la forme :
— Vous êtes décidément un
polisson [173] .
— Voilà qui me rajeunit. Grand
merci, madame, plaisanta-t-il.
Étrange. Il avait suffi de quelques
jours pour qu’il oublie son âge. Quinze ans. Ne voilà-t-il pas qu’elle le
grondait
Weitere Kostenlose Bücher