Monestarium
ainsi
définitivement l’herbe sous le pied de Jean de Valézan. La proximité de
l’archevêque bousculait son plan initial, et peut-être était-ce préférable.
Cependant, il ne pouvait réussir qu’avec le soutien de l’abbesse.
Il lui relata ses liens avec
Béranger de Normilly, Acre, la besace rachetée à un vendeur arménien, les morts
violentes et soudaines qui avaient décimé tous ceux qui, de près ou de loin,
avaient tenu le fameux sac en leur possession. Il concéda avoir échangé une
correspondance sporadique avec l’ancienne abbesse. Il n’hésita pas à révéler
l’involontaire implication d’Alexia de Nilanay, qui ne s’était trouvée mêlée à
cette affaire que parce que le gentilhomme espagnol qui prenait soin d’elle
n’était autre que le fils d’un ami de Béranger de Normilly. Mortagne insista
sur la sombre et redoutable présence de monseigneur de Valézan à chaque
carrefour de cette ancienne aventure dont il avait espéré qu’elle se
terminerait dans les souterrains des Clairets, grâce à madame de Normilly.
Plaisance de Champlois s’exclama :
— Que me dites-vous ?
Madame de Normilly a remis ce coffre à monseigneur Jean !
— Quoi ? hurla Mortagne en
se levant d’un bond. C’est impossible ! Jamais elle n’aurait commis une
telle erreur… stupidité, surtout sans m’en avertir. Elle protégeait le coffre…
le coffre était sa seule assurance de demeurer en vie.
— J’en suis certaine. Je me
trouvais à ses côtés lorsque ce… – il s’agissait d’une sorte de longue caisse
cerclée de fer – fut remonté des souterrains et déposé dans l’ouvroir du palais
abbatial. Je me souviens… Elle l’a contemplé un moment avant de déclarer dans
un soupir : « Ceci, ma chère fille, est la dernière épine qui me
demeurait plantée dans le flanc. C’est un tel soulagement d’en être enfin
débarrassée. Jean de Valézan obtient ce qu’il cherche depuis si longtemps. Tout
va s’apaiser maintenant. » C’est ensuite que furent changés les verrous de
la grille condamnant l’accès aux souterrains.
Au moment où elle prononçait ces
mots, un odieux soupçon se fraya un chemin dans son esprit. Elle cria :
— Juste ciel… Quelle
abomination ! C’était quelques semaines à peine avant son trépas !
Enfin… Enfin…, bafouilla-t-elle, cela ne se peut… Il n’aurait pas…
— Il l’a fait exécuter. Elle ne
lui servait plus de rien et pouvait, au contraire, lui nuire.
Mortagne semblait anéanti par ces
révélations.
— Enfin, monsieur, que
contenait ce coffre, cette besace ?
— Des ossements noirâtres, un
fragment de crâne, quelques phalanges et côtes, un tibia, des éclats de pierre
rouge taillés en triangle.
— Est-ce là tout ? insista
Plaisance, incrédule.
— Rien d’autre.
— Vous vous moquez, monsieur…
Quoi ? Tant de meurtres, d’ignobles méfaits pour quelques os ? (Son
regard devint perçant.) À moins que… qu’il s’agisse d’une relique sainte ?
Sacrée ?
— En ce cas, pourquoi vouloir
faire taire à toute force ceux qui en avaient eu connaissance ? On ne peut
que se réjouir de découvrir ou de récupérer une relique sainte, ne croyez-vous
pas ?
— Certes, admit Plaisance,
perdue.
Mortagne serra son front entre ses
mains, pesta entre ses dents :
— Je n’y comprends rien… En
dépit de sa complexité, cette affaire semblait claire jusque-là. Les mobiles,
les enjeux étaient évidents. Valézan voulait récupérer le coffre et s’assurer
que nul n’en parlerait jamais. Tout s’expliquait, même si nul ne connaît la
véritable importance de cette… chose… relique, quoi qu’elle soit. Or, s’il est
déjà en sa possession… plus rien n’a de sens. Je m’égare, je m’agace ! Il
me faut réfléchir en tranquillité. Toutefois, avant de prendre congé de vous,
je me dois de régler d’autres… détails.
La mine de Mortagne virait au
sinistre, aussi le terme anodin qu’il avait choisi ne dupa-t-il pas Plaisance.
— Je vous écoute.
— Mon grand bailli et nos gens
d’armes sont aux portes des Clairets. Selon Malembert, que j’ai questionné peu
avant notre entrevue, ils devraient intervenir sous peu. Faites sonner le
tocsin, madame.
— Votre pardon ? murmura
l’abbesse, abasourdie. Sommes-nous attaquées ?
— Nous l’éviterons. Que les
moniales et les novices rejoignent leurs dortoirs et s’y barricadent. Que les serviteurs
laïcs
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