Monestarium
grassement, si je ne m’abuse.
— Je chie à sa face de vilain
rat, déclara le chasseur le plus calmement du monde.
— Vaurien ! couina la
grande prieure qu’une telle grossièreté suffoquait.
— Ouais. Je suis venu terminer
mon travail.
En pleine incompréhension, madame de
Valézan s’énerva :
— Imbécile, l’abbesse doit se
terrer dans son palais, pas ici !
— J’espère bien qu’elle se
terre là-bas, et sous bonne garde encore, approuva le Ferron en s’approchant du
bureau.
Son calme, sa lenteur troublèrent
Hucdeline de Valézan, que son arrogance quitta. Elle bredouilla :
— Que… Que faites-vous ?
— Je vous l’ai dit. Je termine
le travail commencé avec cette Aliénor de Ludain. Pas de chance, hein ? Ou
alors, c’est vous qui en avez. J’avais pourtant placé sept pâtes de prunes dans
cette palette à cuilleron. Je les avais trouvées dans l’herbarium où je
cherchais la… substance. La fiole était juste à côté. Je sais pas bien lire,
aussi je n’étais pas certain qu’il s’agissait de colchique. Mais une faux
rouge, ça, je sais ce que ça signifie.
— Vous ? souffla la grande
prieure…
Et soudain, elle comprit. Où elle
avait vu la main de son frère l’aidant à se débarrasser d’Aliénor sans qu’elle
souille son âme d’un enherbement, il y avait en réalité cet homme, massif,
menaçant. Un valet, une donnée négligeable. Cet homme avait tenté de les occire
toutes deux afin de protéger Plaisance de Champlois qu’il était censé abattre.
Elle n’avait échappé à la mort que grâce à une coïncidence : son
rendez-vous secret avec Aude de Crémont. Elle fut debout d’un élan et se
précipita vers la porte, tentant de l’ouvrir, s’acharnant sur la poignée qui
résistait. Pesant de tout son poids de l’autre côté du battant, Bernadine
Voisin pleurait en chantonnant un cantique. Elle avait tenu à assister le
chasseur dans sa tâche. Hucdeline l’avait trahie. Pour la cause de la grande
prieure qu’elle croyait juste et véritable, Bernadine avait souillé son âme. Il
fallait réparer les dommages que sa crédulité avait engendrés.
Le chasseur rattrapa sa proie en
trois enjambées. Elle se tourna vers lui, décochant des ruades, criant à son
aide. Deux énormes battoirs s’abattirent sur sa gorge. Hucdeline sanglota,
suppliant :
— De grâce, épargnez-moi !
Mon frère est très riche, il vous paiera au centuple. Je vous en conjure,
laissez-moi vie sauve.
— De quoi peux-tu te prévaloir
qui me décide à te l’accorder ? murmura le titan.
— Vous serez maudit pour
l’éternité. Je suis l’épouse de Dieu…
— Mensonge. C’est elle, avec
ses yeux d’aigue-marine qui est l’épouse de Dieu. Toi, tu es la catin de ton
frère. Et je ne serai pas maudit pour vous avoir tuées, toi et ta complice. Or,
je n’ai pas occis les autres.
Une main se serra sur sa gorge. Elle
voulut hurler à nouveau, mais sa tête bascula avec violence selon un angle
impossible. La sensation d’un coup violent. Elle s’effondra, la nuque brisée,
vomissant un flot de sang.
Adossée derrière la porte, mordant
son poing pour étouffer ses sanglots, Bernadine priait pour le salut de l’âme
de feue Hucdeline de Valézan.
Lorsque Aimery de Mortagne, épée au
clair, suivi, d’Étienne Malembert, de Charles d’Ecluzole et d’une quinzaine de
ses hommes, défonça la porte barricadée du clos des lépreux, le silence de la
salle commune déserte les décontenança.
Ecluzole fit signe aux gens d’armes
de le suivre, mais le comte les retint. Aux aguets, il épia la fausse quiétude
de la vaste salle.
Un traînement de pieds trahit la
présence des assiégés à l’étage. Mortagne murmura :
— Nous ne monterons pas. C’est
un piège. Ils nous coinceraient dans l’escalier. (Puis, levant la voix, il
clama :) Alors, les gueux, on se terre à la manière de fillettes ?
Quelle fière bravoure ! La ladrerie vous aurait-elle émasculés en plus du
reste ? Allons, haut les cœurs, les donzelles ! Nous sommes cinq,
vous êtes cinquante.
Un rugissement lui répondit,
précédant de peu le vacarme qui résonna dans l’escalier. Une demi-douzaine
d’hommes hirsutes, braillant des obscénités, déboulèrent sur eux, brandissant
les armes improvisées qu’ils avaient chapardées. Ils pilèrent à une toise du
groupe conduit par le comte, découvrant leur véritable nombre. Charles
d’Ecluzole avança de
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